L’écharpe grise – Daniel Dobbels

L’écharpe grise – Daniel Dobbels

« Tenir toutes choses à leur naissance », dit Valère Novarina. C’est la prééminence de la danse lorsqu’elle prend en considération la destiné du corps et son cortège de questions irrésolues.
Le geste d’abord, dont on ne sait pas exactement où il gît, d’où il provient, et pourquoi il surgit à cet instant précis. La mort ensuite, dont on peut penser qu’elle est, sans relâche, le moteur de ces gestes essayés, abandonnés ou perdus, ou mille fois retrouvés, jusqu’à laisser poindre le plus juste, le plus habité d’entre eux afin de donner un sens clair au corps en mouvement.

La clarté est une constante dans l’écriture de Daniel Dobbels. Il y concentre paradoxalement en un temps visible tous les présupposés invisibles du geste, et du corps qui les rassemble. Comme s’il était vital de garder les yeux ouverts dans les parcours tortueux où l’homme trouve son compte à chercher une cohérence dans les contradictions de sa propre existence. Il y trouve non seulement son compte, mais il en devient inventif. Il « compose avec », belle expression, dont l’étymologie “déposer, s’arrêter ensemble” est tout un programme. Car il s’agit bien de déposer ces éléments épars et d’en reconstituer, à terme, une direction qui soit signifiante pour l’homme : assumer des réalités aussi radicales que celles de la vie et de la mort.

Et pour échanger cette composition, il faut une interprète – là, immédiatement, dedans, investie au cœur de la danse – qui pressent avec subtilité la complexité de ces contradictions de l’humain. Carole Quettier est cette interprète, ce veilleur du dedans. Elle habite intérieurement la danse avant que le geste tente de lui échapper – de nous échapper -, et transforme ainsi l’éphémère en durée, sans qu’à aucun moment le mouvement ne soit fixé en un cliché photographique, ou dans une pose confortablement esthétique.

Mais la composition ne peut véritablement aboutir que s’il y a conjonction entre chorégraphie et interprétation. La danse, incessante genèse entre un chorégraphe et un interprète, livre pas à pas le sens des combinatoires, met à vif les paradoxes, et ouvre une perspective lisible, jusqu’alors insoupçonnée.

Toute perspective est d’abord un temps « d’avant le commencement », venu de nul endroit. Le dos dénudé en est le terrain vierge, à nu de chair, qui installe l’instant présent contre toute précipitation.
En appui sur un pied, l’autre posé derrière en extension sur la pointe, la danseuse refait mentalement ce chemin de l’inextricable pour en extraire la clarté, dirigeant son regard vers des profondeurs silencieuses.

Le défi est peu banal quand il est question de composer avec les contradictions du mouvement pour en dessiner des lignes de force structurantes. Sur des jambes nouées entre elles, sur un bassin verrouillé, les bras montent, les mains se rejoignent au dessus de la tête, les doigts s’entrecroisent et se bloquent entre eux. De cet entrelacs compact, deux index émergent pour déposer sur la bouche une parole au bord de la naissance. Passé ce signe prémonitoire, le corps dénoue dans une marche claudicante les prémices d’un parcours encore improbable.

Cette succession de postures génitrices – si l’on m’autorise cette métaphore – est combinée de telle façon que l’on finit par penser que le corps sensible pourrait émerger de sa propre complexité chaotique. « Un corps, dit Dobbels, ne pourrait-il se tenir là, au cœur du premier crépuscule comme un dos nu, s’avancer de nulle part, dessiner les traits de l’autre parcours, plus mobile que la mort, et décrire cet espace libre comme une écharpe grise ? »

La mobilité de ce parcours est annoncée par des événements (presque) sans importance qui se déclinent sous des formes que l’on ne pouvait encore concevoir. Au fur et à mesure que le geste est installé – bien installé -, il produit un autre signe en un autre endroit, comme si le vocabulaire du mouvement faisait appel à des forces non encore identifiées pour interférer sur d’autres gestes qui viennent s’inscrire simultanément en d’autres régions du corps : « les traits de l’autre parcours« , dit Daniel Dobbels.

Ainsi, la joue est réactive à l’approche de la plus imperceptible source de chaleur d’un bras ou d’une main. Ce faisant, le corps tout entier se met en mouvement : les coudes se touchent et provoquent une vibration ; venue du pied, l’élévation depuis le sol combine ensuite l’autre jambe et les mains ; l’impulsion du genou posé sur le talon au sol déclenche les résonances du sursaut avant la mort.

Non seulement ces transferts de sens permanents régénèrent le vocabulaire de la danse, mais ils portent, dans un espace à défricher, le sens du corps, du geste, de l’implication du mouvement, et ouvrent à la perception d’une autre temporalité.

Dobbels, le magicien des situations paradoxales, met la danse en état de création primordiale (au sens de l’origine) : pieds écartés, ancrés dans le sol, cuisses à l’horizontale d’un grand plié stoppé à mi-hauteur, la tête se pose sur le genou et y transmet des ondes vibratoires. Les mains reçoivent dans le volume de l’air des formes invisibles, tandis que les doigts qui se posent délicatement sur l’omoplate réconcilient le dos avec le corps lui-même, comme s’il consentait à se laisser traverser par un flux étranger d’énergie génératrice.

Dans ce dédale de mouvements en opposition de directions, dans la confusion des pensées contradictoires de l’humain, le corps retrouverait donc son intégrité dans la réaction en chaîne provoquée par l’audace d’un geste qui surgit dans un corps formaté.

Dobbels dérange les postures installées au point qu’il en détourne le sens et le porte en d’autres lieux du corps. Les avant-bras superposés à l’horizontale viennent en écho aux pieds croisés au sol ; la main posée derrière le cou génère une descente au sol sur le tibia ; les impulsions des bras au sol mettent le corps en construction de mouvement ; un visage qui s’échappe s’écarte des mains prédatrices ; les lâchés de bras viennent en contrepoint de la retenue, cette prise de distance si nécessaire au discernement.

En musique polyphonique, le contrepoint définit les principes de superposition des lignes mélodiques (Le Petit Robert), créant ainsi la dimension spatiale. De la même façon, «L’écharpe grise» met en connexion ces éclats d’espaces et reconstitue le puzzle de ce corps dispersé, enfermé dans les limites de ses petits microcosmes.

Les signes peuvent alors s’écrire par les doigts dans l’immensité de l’air. Couché sur le dos, l’homme se redresse comme si l’on en dépliait le corps, qui ouvre, de ce fait, l’espace sur d’autres lignes. Celles des échappées vives et libres.

Bienfaisante mort des signes convenus qui réinvente un espace à la dimension créative de l’homme.

Michel Vincenot
30 juin 2008

Distribution

 

Chorégraphie Daniel Dobbels

 

Danse Carole Quettier

 

Musiques : Nick Cave The mercy seat, the Lire of Orpheus

Bert Jansch The needle of death

Johnny CASH Hurt.

 

 

Photographie Laurent Philippe

10′ / Ni, Et – Daniel Dobbels

• 10′
duo interprété par Brigitte Asselineau et Raphaël Cottin

Dans la tension et la retenue, le petit geste ouvre à l’infime de l’espace et en suggère paradoxalement l’immensité.
Le frémissement, presque invisible, rallie le geste à l’instant et le temps au corps.
C’est le mystère de la danse.
Jusqu’où le geste peut-il aller pour transgresser l’espace qui lui est dévolu et prendre tout à la fois la mesure du temps, inaccessible, comme s’il s’agissait de palper l’invisible dans «une écharde ou un coup de foudre»  ?
L’écho de la bouche grandit dans les mains, les bras, et le corps recueille le poids venu d’en haut. Il y est aspiré et révèle sa capacité incroyable à conjuguer l’espace et le temps dans l’écriture quasiment tactile du geste.

• Ni/Et
trio interprété par Brigitte Asselineau, Aurélie Barthaux et Rachel Bénitah

Il s’agirait donc d’écouter le souffle recueilli dans l’humilité et l’offrande, l’éphémère et la disparition, comme dans «L’annonciation» de Botticelli.
Les lâchés se font dans l’élévation des bras et les yeux déposent le geste au sol. Il est donc possible d’envisager que la danse conjugue des paradoxes : l’étirement et l’effondrement, le poids et la légèreté, l’abandon des sens (la vision et l’ouïe) et la perception fine d’un espace en suspension qui aspire l’épaule par le toucher et capte l’invisible dans le balancement du bassin.

La forme s’invente donc dans l’esprit, les petits gestes lâchés consentent à la perte pendant que deux doigts dirigés vers le haut libèrent la fulgurance d’un espace inouï.
Du déroulé à la séparation, la danse est le mouvement par excellence qui déplace les visages vers d’autres sens. Accueil, retrait, distanciation, la chair devient une évidence et le corps ouvre le réceptacle de l’infime dans le creux de la main.

«Ni/Et» est une oscillation du temps que l’on peut entendre les yeux fermés.
C’est une méditation sur l’être.

 

Michel Vincenot
7 avril 2005

Distribution

 

Chorégraphie Daniel Dobbels

 

Danseurs :

 

Brigitte Asselineau

Raphaël Cottin

Aurélie Barthaux

Rachel Bénitah

 

12e festival Plurielles

D’un jour à l’autre – Daniel Dobbels

Parcours à travers cinq pièces
– Le plan mortel,
– La veine étreinte,
– Cette première lumière,
– Un temps simple,
– De tous ces temps

 

Qu’est-ce qui tient le corps en éveil ?
Quelle est cette intelligence primordiale qui le traverse, sans que ni les danseurs ni le chorégraphe y soient pour quelque chose ?

Certes, il y a «la langue Dobbels» (Marie-Christine Vernay) et les langages singuliers des interprètes (Brigitte Asselineau, Raphaël Cottin, Corinne Lopez, Raphaël Soleilhavoup, Aurélie Barthaux et Rachel Bénitah).
Mais cette langue s’écrit, elle ne se parle pas.

Elle s’écrit dans les interstices des corps. Elle prend sa source dans les imperceptibles veines, traversées par le temps. Tandis que le vocabulaire de la danse puise le geste précurseur dans l’ineffable et le projette immédiatement hors de la langue commune.
L’essence de l’intime et de la pensée affleure à la conscience du corps et disparaît aussitôt. Le geste précis se fait évanescent pour ne jamais installer un consensus durable. Le corps tracé en deux, puis en quatre est traversé par des signes qui relient ensemble tout ce qui le constitue : la parole, le cœur, la pensée, le souffle et la sexualité. La danse prolonge dans le silence l’infinitude de ce qui a précédé le geste.

Le temps n’est donc pas la durée, supportée ou insupportable. L’ensemble des cinq pièces présentées d’affilée n’est pas destiné à évaluer la capacité de vigilance du spectateur, mais plutôt de l’habiter, sans y laisser la marque d’une quelconque prise de pouvoir ou d’un enfermement du temps. L’étranger défie les frontières et laisse sur son passage des manques, des trous, des abîmes que la langue commune n’est plus en mesure de circonscrire. A la façon de Giacometti, «la femme debout» laissée béante, presque immatérielle ouvre la perspective d’une traversée qui change au passage l’état du regard.

Alors cette traversée des cinq pièces dit plusieurs choses à la fois.

Elle dit que les pièces de Dobbels ne sont jamais pareilles. «D’un jour à l’autre», il a fallu ce temps-là, près de trois heures, pour contester définitivement cette idée reçue. Vraisemblablement d’ailleurs, Dobbels se laisse envahir et nourrir par des lignes de sens que lui suggèrent les événements de l’Histoire et qui dépassent dans l’instant même l’idée qu’il s’en faisait. Il suffit que deux danseuses s’élèvent imperceptiblement sur des demi-pointes, et voilà que deux autres duos sont aspirés dans le mouvement comme une respiration qui emplirait l’espace, le temps en aurait donc décidé autrement.

«De tous ces temps», que reste-t-il du corps, au fond ? De ce corps qui joue des tours à l’insu de celui qui en écrit le mouvement. Certes, l’intention d’origine est claire, c’est incontestable, mais on ne sait plus exactement (ou plutôt on le découvre mieux que jamais) pourquoi le réceptacle des bras habille de haut en bas le corps vivant d’une enveloppe délicate, fluide mystérieux, en répons à la nudité du gisant. C’est le mystère de la danse confrontée au temps et à la chair conjugués, ensemble, en un même instant.

Cette traversée écrit à la façon du peintre que l’arrêt du geste, la pause du regard est déjà en mouvement vers un autre état, là et déjà ailleurs. Point commun de la peinture et de la danse. «Le plan mortel», lieu d’une étrange justesse, décline des plans successifs, dessinés par la lumière de Françoise Michel, jusqu’à l’infini de l’alternance entre la vie et la mort, l’une se régénérant au contact de l’autre.

En deuxième temps, il convient donc de méditer sur cette traversée, car c’est une méditation en cinq temps qui met en lumière ce que l’on croyait savoir du corps, ce que l’on en disait et ce que l’on croyait pouvoir danser. La danse n’est pas une photographie du moment, elle appartient, en-deçà et au delà, à la métaphysique de cette matière vivante constituée de souffle, de sang, de chair et d’os. Deux mains se rejoignent dans la hauteur pour finalement briser le consensus esthétique. Les poignets cassent la direction de la jolie chose attendue et les mains s’effondrent, laissant cette fois-ci au corps la possibilité de générer d’autres sens.

Qu’advient-il finalement de la fonctionnalité du corps qui prend la liberté de réinvestir le paradis perdu, l’amour sans fin et les tentatives répétées de jouissance éperdue ? Pour s’en persuader, l’humanité fait danser les corps en étreinte depuis des millénaires. Dobbels fait se dérouler les mains sur les avant-bras, pose délicatement des doigts sur des genoux repliés. L’effleurement dans la douceur impose un parti pris à la danse, celui de ne jamais brusquer le temps et d’ennoblir l’espace et, ce faisant, Dobbels cherche le mouvement au cœur de l’être, et non à la périphérie.

 

Michel Vincenot
11 janvier 2004

Distribution

 

Chorégraphie Daniel Dobbels

 

Danseurs :

Brigitte Asselineau

Raphaël Cottin

Corinne Lopez

Raphaël Soleilhavoup

Aurélie Barthaux

Rachel Bénitah

 

L’Espal, Le Mans, 10 janvier 2004

She never stumbles – Daniel Dobbels

She never stumbles – Daniel Dobbels

Quand le geste s’initie en deçà du corps, avant que la plus petite pulsion de vie ne trouve sa raison d’être, la danse est déjà à l’écoute de l’infime vibration. L’imperceptible frémissement du corps y est une force ineffable qui s’oppose, sur le dos de la main, à la terre qui l’a fait naître.

«Elle ne vacille jamais parce qu’elle n’a pas d’endroit où tomber.»

C’est par l’inéluctable mort, en effet, qu’il faut commencer. Tomber signifierait : se laisser engloutir par le geste joliment insignifiant. Ici, il s’agit au contraire de «commencer à côté du corps» – Daniel Dobbels le dit justement – presque en amont du temps pour faire le deuil du trop plein. Juste à l’endroit du «vide» où se croisent les territoires des autres. L’espace d’à-côté est le territoire du silence inouï qui ne peut s’entendre que par le mouvement tactile, les yeux fermés. Comme le battement d’une paupière sur la peau d’un partenaire,
lorsque la parole a perdu les mots.

Pied retourné et poings fermés contre le sol, le corps est soumis au poids venu d’en haut, mais en même temps c’est le sol qui lui résiste, le repousse constamment dans sa hauteur, en laissant disponible ce vide comme un souffle tendu entre le corps et la matière. Tout le mystère de la danse est ici résumé en ces forces contraires. Le corps peut en effet défier la loi de la gravité lorsqu’il est habité par l’intention claire de dévier les contraintes, les représentations du prêt-à-danser ou du prêt-à-montrer. Les petits doigts tendus refont à cet égard un trajet transversal, entre le poids et l’esprit, entre le corps et la danse dans un espace qui, cette fois-ci, n’appartient qu’à l’humain. Espace du corps surpris par la pensée du mouvement. L’homme invente la parole… et il se tait.

Entre l’animal extrait du sol et l’esprit de l’homme qui émerge du rampant, la danse de Brigitte Asselineau résiste à l’enfouissement de l’être. Michel-Ange, et le doigt de Dieu tendu vers celui de l’homme. Au sommet de la Chapelle Sixtine ils ne se toucheront jamais, mais resteront le symbole d’un écho insondable qui transmet la pensée au cœur même de la matière charnelle.

Lorsque le trajet devient à ce point complexe de tant d’infinitudes, c’est le corps «défait, refait, échoué» qui ouvre à l’intelligence. C’est lui qui écrit le temps, entre les sursauts de l’insecte éphémère et la résistance du corps, grandi par la gravité. La durée et les suspensions du temps sont les passages obligés de l’histoire humaine en ses trajectoires infirmes qui ouvrent, d’un geste à l’autre, à la clarté, en laissant s’immiscer l’espace, «l’entre-deux» du devenir.

Une main qui chemine derrière le dos invente ainsi une autre direction : celle d’un bras tendu vers le haut. Un entre-temps du corps rassemblé, à mi-hauteur, entre la terre et le ciel. C’est une dialectique de l’être qui s’installe : toucher le sol par le dos des doigts, paume de la main vers le haut, pour faire surgir la respiration dans toute sa hauteur. Comme une résurgence dont on ignore l’origine. L’air devient le volume charnel ; le corps respire son espace entre celui des autres. Là est l’entre-temps du corps.

Dans la troisième partie de ce solo, Bob Dylan chante : «Certains disent qu’il n’y a pas d’erreurs dans la vie. C’est vrai, parfois on peut voir les choses ainsi. Mais les gens ne vivent pas, ne meurent pas ; ils ne font que flotter […]»

Et d’une ligne tracée au sol, d’un corps divisé par les tensions contradictoires, c’est la main qui détient le secret de rassembler le temps, de tenir ensemble des doigts singuliers, séparés, écartelés.
«Cherche le motif aigu et solitaire d’où tu jailliras.» René Char avait déjà parlé de ce solo.

Michel Vincenot
26 mars 2001

Distribution

 

Chorégraphie Daniel Dobbels

 

Solo dansé et interprété par
Brigitte Asselineau

 

Lumières Françoise Michel

 

Régie son Boris Molinié

 

Musique Bob Dylan :
Chimes of freedom
Blind Willie Mac Tell
Man in a long black coat

 

Costume Judith Chaperon

 

Festival Plurielles 2001
à la Commanderie

Actes chorégraphiques – Daniel Dobbels

À la Commanderie, Festival Plurielles 1995

 

« Dans ce lieu où se produisent sans cesse des événements, la danse ne peut pas être englobante … Seul le geste fragmentaire peut convoquer toute la mémoire. »

Ces premiers mots prononcés par Daniel Dobbels lors du repérage effectué en février dernier disent tout de la Commanderie, mais disent aussi l’essentiel de la danse. Quand la pierre et l’Histoire témoignent des balbutiements de ces corps en pèlerinage qui jadis associèrent en ce lieu le gîte et la source spirituelle, le repos et la mort ; les uns intimement mêlés aux autres. Quand le geste entre en alchimie avec la pierre, c’est le verre et l’eau qui révèlent la transparence de ces corps.

C’est sans doute une des plus belles approches de la danse que l’on puisse évoquer ici. Pour nos contemporains qui portent en eux le désir caché de retrouver l’harmonie du corps et de l’esprit. Pour le danseur et le sculpteur qui se surprennent, secrètement liés l’un à l’autre, au-delà des représentations traditionnelles du corps, le verre est le médiateur d’une danse de la lumière. Car c’est toujours le regard de l’autre qui induit la direction des gestes. Les danseurs ne sont que nos interprètes, et c’est un fantastique échange. « Il faut un corps parce qu’il y a trop  d’obscurité … Il faut un corps pour obscurcir la trop grande clarté.», dit Daniel Dobbels.

En ce lieu, les actes chorégraphiques sont un parcours. Du silence à la lumière, en passant par une danse sonore dont on n’entend que les bruits. Pour vivre quelques instants de grâce dans l’intimité de la pierre et du verre dont seuls les corps peuvent nous suggérer le mystère.

 

Michel Vincenot
29 Mars 1995

Distribution

 

Chorégraphie Daniel Dobbels

Sculpteur Emmanuel Saulnier

Danseurs

Sylvie Berthomé,

Brigitte Asselineau,

Christine Gérard,

Yarma

 

À la Commanderie les 1 et 2 avril 1995