Ouverture du Festival de danse Plurielle 1996
La danse nous demande l’effort d’entrer dans l’univers inconnu de l’autre ; dans le secret qui s’alimente à l’universel des hommes et des femmes qui nous ont précédés, et qui viendront après. Mais le secret n’est pas l’intimité, pour autant qu’il pose sans cesse la question qui vient tôt ou tard à l’esprit de chacun : Quand serai-je à la dimension des autres, ceux que le discours a du mal à cerner, ceux dont le corps m’est inaccessible malgré l’évidence de son immédiateté ?
L’aventure de la danse n’est pas d’entrer en contact avec le corps de l’autre -cette expérience nous est déjà naturellement donnée dans la relation amoureuse- mais plutôt d’entrer en contact tout court. Le danseur n’est que l’intermédiaire de mon corps. Il se risque à le conduire le plus en avant possible, à la recherche incessante de ce qu’il me faut apprendre de lui, c’est-à-dire l’extrême limite qui me révèle être de compromissions et de clarté, y compris dans ce que j’ai décrété « inacceptable ».
Justement, l’inacceptable est, d’une certaine manière, un territoire déjà conquis et pourtant toujours inaccessible. Ce serait peut-être là une des fonctions de l’art, et plus précisément de l’art des corps qui dansent : préserver l’intimité de chacun, tout en livrant ce qu’il y a de plus secret. A savoir, ce qui relie mystérieusement aux autres. Les autres sont, par définition, ceux qui ne nous appartiendront jamais.
Alors la danse devient réellement la mise en espace, la mise en demeure des corps, l’invitation naturelle à se confronter à cette altérité si difficile à vivre, si difficile à regarder en face, tant nous sommes devenus myopes, et tant nous nous sommes fait une raison de cette myopie.
La danse contemporaine nous invitera donc à regarder de tous côtés, sur le plateau comme dans la vie, ou alors nous prendrons définitivement le parti de n’accepter de voir qu’une infime parcelle de l’Histoire, celle qui nous intéresse au premier chef : la nôtre.
Michel Vincenot
5 mars 1996