Editorial 1998
À l’avenir, un théâtre sera le lieu naturel d’échanges culturels, de rencontres inédites, ou sera voué à la disparition. Il n’est plus possible, en cette fin de siècle, de concevoir le patrimoine artistique comme un trésor enchâssé que l’on protège. Les influences extérieures régénèrent les traditions millénaires. Il faut aller vers et «travailler dans l’ouvert» disait Rilke.
Un lieu de culture est d’abord un carrefour de passage sans souci racoleur. Ouvert à l’échange disponible, au point de ne plus savoir à l’avance ce qui transformera, ensemble, les passagers de l’art : danseurs, comédiens, auteurs, musiciens, plasticiens … et populations … tous individus confondus.
Mélanger les personnes d’origines sociale et géographique différentes est une merveilleuse chance pour la culture. Confronter les styles et les propos des uns et des autres, parfois contradictoires, est un ferment dont on ne connaît pas, d’emblée, les effets futurs. Il faut donc revisiter le temps, reconsidérer l’attention que l’on porte aux plus petits signes de la vie des humains. Ne pas céder à la précipitation de l’approche d’un nouveau siècle, promis au «bonheur» des uns et à la détresse des autres. Rien ne change au fond, sinon la façon de regarder l’avenir. Avons-nous songé un instant que l’on pouvait préparer le siècle qui vient en écoutant Mozart ? Nous sommes à la fois proches «des Lumières» du XVIIIe et de la barbarie du siècle finissant.
En ce 5e Festival de danse, l’année 1998 se décline comme une charte, un engagement éthique qui questionne désormais la culture à part entière. Le Théâtre Saragosse s’apprête à faire vivre ensemble le multimédia et la danse ; les systèmes de communication d’un monde virtuel à l’échelle de la planète, et le charnel de l’art vivant à la mesure de l’individu.
Il faudra en effet rechercher la pertinence des repères à travers «les nouvelles technologies de la communication» – à la mode, oui, mais incontournables ! – pour redonner aux hommes et aux femmes le temps nécessaire de l’invention technique et de la vie amoureuse.
Joli défi et passionnante aventure suggérés dès cette année par les danseurs. Yvann Alexandre, un des plus jeunes chorégraphes, rencontre les adolescents mais aussi les moins jeunes, à la façon Cunningham à ses débuts, musique techno en plus. Christian Bourigault, représentatif de la danse des années Bagouet, déconstruit tout discours convenu pour mettre au premier plan le mélange des couleurs de peau, une sorte de citoyenneté à l’échelon mondial. Bernard Glandier met en scène de jeunes danseurs avec le souci de la construction autour de la musique, pour garder la mémoire de ces petits faits et gestes qui cimentent le groupe. Catherine Berbessou fait danser avec énergie et ingéniosité les relations tendues de couples. Le tango est une histoire d’amour plus proche de l’engagement que de la sensualité facile. Et, au final, la dernière création de Robert Seyfried qui adjoint à ses danseurs une fanfare locale, trois tableaux délicieux au cas où nous aurions perdu l’envie de vivre.
Entre-temps, la jeune danseuse Sandrine Maisonneuve prépare sa toute première création à la Commanderie. Elle y précède le comédien Alain Neddam qui conclut le parcours inédit, le centre nerveux du Festival. «La danse ouverte». Cinq étapes pour traverser autrement la danse. Les spectateurs, les jeunes des quartiers et les enfants en sont les acteurs, puisque les initiatives sont également locales . Ceux que nous appelons traditionnellement «les publics » deviennent à la lumière du printemps nos invités d’excellence.
Michel Vincenot
Janvier 1998