À propos du colloque « Écritures de la danse », mars 2000
C’est en écrivant sur la danse que j’ai appris à la regarder.
«La danse n’est vue qu’une seule fois. Or il faut qu’une chose se produise deux fois pour qu’elle existe une fois.» (D. Dobbels). Les écrits sont-ils adéquats pour dire la danse ? En quels endroits la danse peut-elle se dire une deuxième fois ? Voilà donc l’enjeu d’un colloque qui tente des traversées par les mots, tandis que le corps parle dans l’espace du vivant. «Là j’aime bien parce qu’il y a beaucoup d’espace» (une jeune spectatrice citée par Jean-Marc Adolphe). Et si l’écriture est un acte physique autant qu’intellectuel, nous avons certainement beaucoup de difficulté à dire la danse autrement que par la poésie, plus apte sans doute à rencontrer l’espace de la danse.
Voilà donc le problème, «le dire» du corps doit aussi pouvoir trouver son existence en d’autres territoires, celui de l’écrit, par exemple. Si la danse n’est jamais résignation, le texte, lui, doit se résigner à s’écrire dans le cheminement linéaire de la pensée. Ce que la danse exprime en un seul mouvement, le texte est astreint à dérouler les mots et non pas les déployer, sauf dans la poésie peut-être.
D’où la nécessité d’explorer d’autres dires : les arts plastiques, la poésie, l’image. Et de savoir d’où l’on parle pour être conscient de ce que l’on dit. Et puis après, dans un second temps, c’est le changement de territoire qui éclaire un langage spécifique comme peut l’être celui du corps qui parle et qui bouge en même temps, qui entend et qui voit, qui touche et qui aime. C’est en changeant de lieu, c’est-à-dire en changeant l’angle du regard, que l’on comprend mieux ce que l’on a dit et vécu là-bas. De la même façon qu’une langue étrangère nous oblige à affiner le sens de sa propre langue, à mieux la vivre, au fond. Les grands mystiques ont fait l’expérience de la relation à autrui, d’un autrui absent ici mais présent là-bas. La mise en danger fertile du passage au désert est «un point d’accord secret où se répartissent les espaces de la vision et de l’écoute.» (D. Dobbels). Et de retour au quotidien, on est à nouveau en danger, c’est-à-dire ouvert à ce qui peut être paradoxalement le plus étrange. L’apprentissage du mutisme (et non des diktats convenus) habite les interstices en ouvrant des petites brèches dans les corps opaques.
Il y a donc finalement nécessité à changer de territoire pour que l’écoute devienne infinie, pour que la banalité du langage habituel se transforme en un émerveillement, pour qu’il soit entendu une fois pour toutes qu’ «un geste qui échappe, échappe à la capture» (Laurence Louppe). Ainsi le geste qui échappe à l’emprise du « logos » pourrait-il (en traversant le territoire de l’écrit) «inventer sans cesse un corps qui ne soit pas un corps de pouvoir ni de domination.»
Michel Vincenot
7 mars 2000