Quand les bruyances du monde extérieur sont portées par le corps, il faut une attente pour rompre avec le bavardage. Une pause pour ouvrir au-devant le regard, un parcours pour révéler la conscience aiguë d’un espace à réinvestir, et non pas à réinventer. Non pas qu’il s’agisse de rompre avec le monde, ce serait simpliste. Non pas qu’il s’agisse de céder à une séparation du corps et de l’esprit dans une sorte d’exaltation transcendantale, ce serait un désaveu de l’espace. Il s’agit au contraire, de «confronter les réalités entre elles, dit Ulrich Funke, pour ne jamais imposer l’idée de la vérité.» Les systèmes qui se réfèrent à quelque vérité que ce soit sont des systèmes totalitaires.
Disons alors qu’il s’agit d’ouvrir les yeux sur un monde qui, trop souvent, nous échappe. Une traversée dans l’espace horizontal de tous. L’horizon est le repère des humains ; un horizon qui s’ouvre à la verticalité. La dialectique de Paysages 1 se trouve donc là : rester suffisamment présent dans la matière du sol, y prendre l’énergie et y poser le silence, tête basculée vers le haut. En plusieurs niveaux de hauteur et en différentes directions.
Si beau soit-il, le chant du crapaud est interrompu par le cisaillement d’un bras et d’une main, pour se déshabituer des sensations qui mobilisent facilement l’émotion. Si séduisante soit-elle, l’énergie doit être modulée dans le basculement d’une tête désaxée qui fait partir le corps dans une direction qu’il n’avait pas choisie. Alors s’ouvrent, devant, derrière et sur les côtés, des passages imprévus qui changent la direction du regard et qui découvrent l’espace, les espaces, comme on dévoile des ouvertures que l’on refusait de voir. Le corps en lieu et place sur le trajet de l’acuité, dessiné par la subtilité du mouvement dans le glissé-du-pied-sur-le-côté qui dirige le corps dans des directions latérales. L’espace du côté si peu exploré tant nous avons pris l’habitude de marcher dans l’axe des yeux, au risque de perdre de vue les événements qui nous sont proches.
Ce que la méthode Alexander a développé durant un long travail prend tout à coup chair dans les trajets d’Antonia Pons-Capo. La danse est posée entre l’énergie vitale et la juste retenue, pour être toujours là où le temps et la pensée doivent se dire ; les doigts ouverts que le regard découvre comme un mystère de la Création, dans toutes les hauteurs de l’horizontalité.
Il faut à cet instant abandonner l’inutile pour laisser pénétrer l’incertain. Il faut tourner longuement autour de l’axe du corps vertical pour percevoir l’espace d’un autre endroit et y solliciter la plus petite résurgence. Il faut refaire cent fois le même trajet pour nourrir le temps du corps. Les grands pas, franchis sans crainte et sans hésitation, sont posés dans la douceur du sol et donnent la juste mesure du poids dont la main vient cueillir à la terre la force pour s’en échapper.
Alors la conscience de l’être peut réhabiter tous les endroits du corps, jusqu’à la crispation, poings et yeux fermés : une ultime respiration qui arrête le temps dans le silence et ouvre le dedans au dehors d’un corps traversé par un fluide, de la pointe des pieds jusqu’à l’extrême vibration des doigts. Regard baissé et bras pendants, stoppés à la verticale du sol, stabilisent le corps dans un état d’abandon ; une attente disponible aux flux de l’espace et du temps qui ont traversé la pierre de la Commanderie, un jour de festival, dans la clarté du printemps.
Michel Vincenot
8 avril 2002
Distribution
Chorégraphie Ulrich Funke, Antonia Pons-Capo
Danse Antonia Pons-Capo
à la Commanderie