La nuit a effacé les doutes et lissé les contrastes.
À l’aube, les formes indécises sont restées suspendues dans l’attente d’une métamorphose, jamais vraiment possible, ou alors démesurément espérée. C’est pourquoi l’oiseau ne danse pas au lever du jour. Il observe, sent l’air avant de s’envoler, tandis que la danseuse pose son poids dans le sol, jambes croisées, puis ventre contre terre. C’est sa seule raison de partir.
Sans le sol, il n’y a pas d’air, il n’y a plus rien qui puisse justifier une trajectoire qui mettrait en question les transformations liées au temps et aux matières physiques, « les fragmentations de l’âme », dit Erika Zueneli, dont la posture est l’état premier, minimal, pour renouer avec soi-même.
Le désir est alors soumis aux pulsations constantes du flux sanguin, le rythme du temps avec lequel il faut composer.
Erika Zueneli est un oiseau du sol qui sent le jour poindre au lever du soleil, sous la lumière rasante qui effleure l’horizon. Elle nous met en émoi sur la plus petite vibration et livre l’incandescence de cette masse opaque que l’on appelle « corps ».
Erika pratique une sorte de sagesse, entre philosophie indienne et danse tribale, qui laisse au corps l’espoir de franchir le seuil du possible au-delà de la matérialité visible. La métaphysique du mouvement en quelque sorte. Elle est vive, précise, fait bouger en harmonie le moindre détail de ses membres, doigts, pieds, tête et bassin, jambes entrelacées ou écartelées vers l’infini. Mais le regard est toujours dirigé vers une destination mentale qui n’appartient qu’à son intimité. Ce qui constitue l’architecture du rythme corporel devient une composition humaine. Toutes les composantes y sont résumées : l’énergie, le temps, la sexualité, la solitude, l’altérité… le tout mélangé à une pulsion qui tente de la porter ailleurs et de lui ouvrir un chemin qu’elle n’a pas encore exploré.
L’immobilité est un préalable pour poser les choses, avant que l’on s’emballe sur quelque narration qui nous ferait plaisir et qui satisferait nos attentes. On attend que l’oiseau s’envole, mais le mouvement s’enracine dans la terre, palpe, touche, prend la mesure de la densité du sol. La caresse sensuelle nous tient alors par le poids.
Sa trajectoire est unique. Chaque individu a la sienne, certes, mais il s’agit pour elle de tourner en rond, de traverser l’obsession dans la rapidité pour rattraper le temps perdu. Dans ce parcours, elle y explore les sentiments de puissance et d’impuissance. Ce que l’on rêve, mais aussi ce que l’on abandonne.
Elle avance sur sa ligne, expérimente, tente l’inimaginable et revient à sa position de départ.
Mission impossible ?
Mission tentée, et ce faisant, elle a cheminé avec élégance sur des appuis de pieds et des tensions de doigts qui nous emportent avec elle.
Une course vers ce qu’on ne peut jamais atteindre.
Michel Vincenot
14 mars 2008
Distribution
Chorégraphie et interprétation
Erika Zueneli