Nuits, ce mot pluriel si longtemps attendu … C’est ainsi que procèdent les créateurs. Le titre arrive à la fin pour fixer le signal de la création,  comme une ultime tentative, provisoire et presque secondaire.
Mais à bien y réfléchir, n’est-ce pas s’aventurer que de nommer les choses qui appartiennent «de droit» à la condition humaine ?

Dominique Petit réinvente la nuit d’avant les nuits. La nuit originelle, tragique, qui précède aux nuits du repos , celles que l’on subit machinalement au hasard des jours, sans véritable lendemain.

En un instant, Dominique Petit et Anne Carrié nous surprennent en flagrant délit de torpeur. Les humains se seraient-ils définitivement habitués à la nuit réparatrice ?

Ici, il ne s’agit pas de repos nocturne. Dominique Petit nous donne rendez-vous avec l’inattendu. Car c’est bien de souffrance et d’équilibre fragile dont il est question. La musique se glisse telle une intruse sur le plateau, pour découper et harceler sans cesse un silence grave. Les gestes se cherchent, et les danseurs surgissent où on ne les attendait pas.  Ce duo des impossibles rencontres, magnifiquement chorégraphié, nous entraîne dans la mémoire perdue qui précède la naissance de l’être.

Doué aujourd’hui de la parole, l’individu aurait-il oublié qu’il lui a fallu survivre à une multitude de nuits douloureuses ? Des nuits d’enfantements successifs où s’essayent des personnages en perpétuelle recherche du bonheur, sorte de Sisyphes des temps modernes. L’aveugle est en quête incessante de la lumière qui finit par le tuer. La femme-enfant arrache désespérément de son ventre un cri muet, rendant impossible l’alliance entre le corps et la parole. Mais, c’est de ce cri que naîtra le geste.

Anne Carrié est belle et touchante. A chaque fois qu’elle se risque sur les chemins effacés, elle devient ce personnage aussi désiré que redoutable, pour autant qu’elle représente l’espoir et l’harmonie… qu’elle brise aussitôt qu’ils apparaissent.

Et c’est sous le mode original du répons, presque liturgique, d’un duo évanescent, que la tension et la douleur atteignent leur paroxysme. Dominique Petit y est remarquable de force et de persuasion. Sa chorégraphie, sa manière de sculpter l’espace ou de le faire deviner donnent à cette pièce une tragique impression de déchirure.

On comprend mieux alors cette confidence d’ Anne Carrié : Si les danseurs savaient parler, ils ne danseraient pas. On comprend mieux aussi pourquoi la musique elle-même devient leur complice. La syncope finale qui conclut brutalement le spectacle est à l’image du modeste bouquet de fleurs, offert comme une attente vigilante de la vie imprévisible.

Michel Vincenot
Novembre 1992

 Distribution

Chorégraphie Dominique Petit

Interprétation :
Dominique Petit
Anne Carrié

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