Ceux qui ont déjà marché sur les nuages le savent, on entre pieds nus au paradis…
Cinq danseurs, au lever du rideau, sont délicatement posés, presque en suspension, prêts à se laisser tenter par un face-à-face en duos. Puis l’image disparaît, aussi fugitive qu’elle est apparue, parce qu’on ne doit jamais s’autoriser à des choses convenues. L’univers peut alors s’ouvrir à des fragments d’humanité.

Sur terre, ils nous feraient sourire tous ces petits détails. Mais au paradis, ils prennent une autre allure … Quand trois personnages accoutrés de leur misère de vie entrent par la petite porte, ils entraînent notre regard jusqu’à nous laisser troubler par la vérité de ces manies dérisoires, dansées avec la minutie du geste. Toutes ces fragilités que nous fuyons  nous  sont  dévoilées  en pleine (et belle) lumière tout au long d’une chorégraphie patiemment intériorisée, intelligemment écrite et servie par une bande-son qui a su trouver le ton qui convient à la danse.

Désormais, ces trois personnages en quête de vis-à-vis ne parviendront jamais à s’identifier à l’Autre ; chacun poursuivant avec détermination son chemin parmi d’autres chemins. La pièce, conçue par Loïc Touzé et Fabienne Compet, peut alors se développer à l’infini, en une myriade de petites situations auxquelles six excellents interprètes donnent tout le corps. On y devine que ces bribes paradisiaques ne sont que le reflet d’un temps révolu qui laisse vivre ensemble plusieurs temps possibles, fussent-ils radicalement opposés.

À la croisée de ces différentes diagonales, un danseur, surgi des profondeurs du noir, apparaît en solo pour extraire du mouvement une musique céleste qui n’en finit plus de monter et qui s’efface comme un rêve. Dès cet instant, le rythme du spectacle est donné. La danse déconstruira sans cesse toute certitude établie, tout apparat trompeur, tout jugement irrémédiable… Bref, tous ces fragments multiples qui font le paradis.

On pénètre de plain-pied au paradis… avec son bagage d’embarras que les danseurs expriment jusqu’au bout de leurs doigts lorsqu’ils entrent en scène, poussés par une force qui ne semble pas venir d’eux. Un parapluie ordinaire, dernier vestige de la terre, trouve son écho dans l’envol d’une ombrelle fleurie… l’ensemble finement tissé de solos et de duos, tous dissemblables, riches d’un vocabulaire  longuement élaboré. On se prend alors à regarder en face toute la diversité des humains.

Et lorsque le groupe, généreusement soutenu par une cantate de Hændel, plane enfin au-dessus des eaux, c’est peut-être cela le paradis ?  Mais non. Ces instants éphémères sont trompeurs. Le paradis n’est pas l’illusion, encore moins la béatitude. Il est une alchimie faite des mille et une petites divagations fragmentaires, inconciliables que chacun porte en soi et qui trouvent en cet endroit matière à harmonie. Même la moquerie y est autorisée. Sur terre, elle ferait pleurer les enfants dans les cours de récréation, mais au paradis, elle renoue avec les êtres dans leur intimité.

Toutefois, ne nous méprenons pas. Le paradis n’est pas le paradis ! Sur un banc sorti tout droit d’une salle d’attente, une femme vient se poser aux côtés d’un homme aux gestes empruntés, telle une caricature du désir amoureux, une séduction qui ne parviendra jamais à ses fins.

Et puis, un magnifique duo porté rappelle la fascination pour les pouvoirs dérisoires, tel Don Quichotte sur son âne …
Sans doute le paradis est-il cet éternel recommencement. Au bout du compte, c’est tant mieux, car chaque personnage restera ce qu’il est, lorsqu’il devra restituer aux spectateurs ce paradis-là, inventé pour les petites manies misérables que nous cachons sur terre… Les anges eux-mêmes en sont tout ébahis !

Michel Vincenot
31 Octobre 1994

Distribution

 

Chorégraphie

Loïc Touzé, Fabienne Compet

 

Danseurs

Joël Luecht

Giuseppe Scaramella

Antonia Pons-Capo

Latifa Laâbissi

Fabienne Compet

Loïc Touzé

 

Conception sonore KOLATCH

 

Création lumières Marie Vincent, Philippe Bouttier

 

Costumes Sandrine Pelletier

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