Elle vient tout droit du grenier de la maison, Christiane Blaise. Entre le ciel et la terre, là où le temps s’est arrêté entre hier et demain.

De l’immuable fixité, elle extrait le mouvement, comme seuls les poètes savent le faire. Si l’on n’oublie jamais que les Grecs nous ont légué la poésie comme « acte créateur » par excellence, alors ces Danses à dormir debout sont une création qui va droit au cœur et à l’intelligence. Entre le souvenir d’une grand-mère et la mutation d’un enfant vers la vie, Christiane Blaise arrête le temps et repousse les limites de l’espace. Puis elle les reconstruit ensemble. Ou plutôt elle refait l’espace à partir du temps, lieux de l’habitation de l’humain par excellence.

L’animal ne se retourne jamais sur la mue qu’il abandonne derrière lui. L’homme qui se défait de ses carapaces regarde toujours d’où il vient. La confrontation entre hier et demain est l’exigence créatrice qu’il offre à ses semblables pour se rendre disponible, maintenant, tout de suite. C’est l’essence-même de l’événement.

Et pour autant, Christiane Blaise ne complique pas les choses. Par le bonheur d’une écriture limpide, elle nous transporte de solo en duo, puis de duo en trio qui effleure au passage un quartet de danseurs. Passage, en vérité, qui nous emmène vers une danse où cinq personnages refont à leur manière la fête qui pourrait célébrer l’arrivée de la pluie sur une terre desséchée. Une danse frappée au sol, un carnaval, un délire festif pour cinq danseurs de haut niveau.

Mais stop. Revenons un instant en arrière. Un enchaînement de solo, duo, trio, quintet, se déploie comme si l’homme avait le pouvoir inné d’une propension à l’espace, et le désir d’habiter le temps, en toute fluidité. C’est l’immobilité qui déclenche le geste : la main entraîne le bras, le bras fait suivre le bassin, puis les jambes et les pieds. Tout le corps est à l’écoute d’une harmonie naturelle de la danse. Le mouvement s’élabore ainsi à partir de la précédente impulsion, intelligemment dirigée vers une énergie qui renouvelle le corps et la pensée. Le mouvement devient alors de la danse, reliée au mystère de l’élévation, contre la gravité. Le bras se glisse sous la jambe, sous le pied, et toute pesanteur s’efface. L’aisance autorise désormais le jeu de l’enfant qui prend plaisir à s’enrouler au sol, et à s’en extraire aussi vite ; à jouer à chat perché avec la terre, suspendue à ce fil invisible qui la relie au ciel.

Propension, disions-nous. De la solitude de l’homme à la dualité animale. Pour faire peau neuve, il faudra sans doute chercher dans la panthère le mouvement le plus noble, au service d’une humanité qui rêve d’un mariage entre l’homme et le félin. Ce magnifique duo nous porte jusqu’au seuil d’une étrange liberté que franchissent les adolescents, perturbateurs des règles établies. Mais le chemin des humains traverse justement tous les seuils, intégrant au passage la noblesse animale, pour laisser à l’homme la mémoire d’une parole sans cesse en mouvement.

 

Michel Vincenot
26 Octobre 1996

Distribution

 

Chorégraphie Christiane Blaise

 

Danseurs

Alfred Alerte

Séverine Allarousse

Didier Gilabert

Sandrine Maisonneuve

Laurence Mandrille

 

Musique Ghédalia Tazartes

 

Scénographie et décor Jean-Pierre Vergier

 

Lumières Hervé Bontemps

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