Editorial Brochure / Festival de danse 1999

 

L’Histoire a une fonction régulatrice sur les individus, ou les communautés d’individus.
Elle éclaire les liens qui se font et se défont. C’est elle qui porte l’humanité à la conscience d’être, ou qui renseigne sur l’impossibilité d’exister ensemble.

Parfois, l’humanité est le témoin d’aventures solitaires où se renouvelle la pensée. Les ermites se retirent pour que demain soit possible. Puis, à d’autres moments, ce sont les communautés d’individus qui se réapproprient le sens de l’Histoire pour sauvegarder la vie. C’est tout simplement une question de bon sens.

Entre des chemins qui ne se croisent jamais et l’urgence de construire ensemble, il y a l’itinéraire, «les itinéraires», puisqu’ils sont nombreux. Le 6e festival de danse invite des chorégraphes qui, dans leur démarche et leur conception de la danse, sont, sinon aux antipodes, du moins radicalement différents. Entre Olga de Soto (Belgique), Laurent Pichaud et Jackie Taffanel (sud de la France), Sasha Pepelyaev (Russie), Victoria Debarbieux et Mizel Théret (Aquitaine) et Käfig de la banlieue lyonnaise, il y a un monde, des mondes ! qui, a priori, suivent des chemins  parallèles. Un a priori, bien sûr, et rien d’autre ! Car ce festival est le récipient momentané d’une alchimie qui opère sur des rencontres inopinées, ouvre des perspectives entre danseurs d’une part, et entre danseurs et populations d’autre part.

L’itinéraire de la compagnie Käfig est, à cet égard, exemplaire. Le hip hop, danse du béton, intègre la danse dite «contemporaine» et non l’inverse. Deux cultures aux origines différentes éclairent soudain des espaces de parole que l’on croyait inaccessibles. Entre le désespoir  social et la poésie engagée (j’allais dire prophétique) de Käfig, il y a «Récital» qui contient à la fois  l’histoire  de  leurs  «galères»  et  le  concert  singulier  de  leurs  musiques  et  de  leur  danse. La danse, au fond, qui nous implique de façon égalitaire parce que les corps sont tous les  mêmes,  seulement  enrichis  de  leurs  couleurs  et  de  leurs  qualités  particulières.  N’en déplaise aux «vérités scientifiques» mensongères du Front National et à ceux qui l’ont rallié par opportunisme, pour gagner quelques miettes d’un pouvoir moralement illégitime. Démocratie ?

Cette année, «Plurielles» est un creuset d’itinéraires pour relier, durer, croiser d’autres arts, créer et transmettre…  Christian Bourigault, invité l’an dernier, ouvre le festival par un bal populaire.  Et sa nouvelle création au Théâtre Saragosse met en vis-à-vis deux  cultures :  l’Europe et le Japon, une confrontation entre l’individu et le collectif.

Sous le regard présent de Thierry Niang, les enfants du quartier Saragosse font un parcours pour apprendre à construire et à durer. Et pas seulement à consommer. Ils investissent la Commanderie avant que le chorégraphe y présente sa prochaine création : une transmission des enfants aux danseurs de la compagnie. C’est ainsi que Thierry Niang tisse les rencontres.

Puis, nous devons un bout de chemin à Laurent Lafolie, photographe de la danse. Débarqué il y a six ans au premier festival «Plurielles», il croise cette année ses photographies avec «les papiers» de Jean-Louis Fauthoux.  Un accompagnement que chacun  a voulu non concerté. On verra après ce qu’il en adviendra.

Enfin, une prospection d’actualité, pour mettre le corps en état d’écoute. L’improvisation de Geneviève Sorin évalue l’importance que revêt aujourd’hui le renouvellement des arts, notamment de la danse. Le rendez-vous de l’improvisation, c’est d’abord la conscience de l’absence, d’un manque à identifier.

L’Histoire se construit en ces multiples croisements et l’art émerge du tâtonnement. Autant d’itinéraires qui changent l’attente du spectateur. C’est pourquoi il était bienvenu que Christian Trouillas proposât, dès le début du festival, une expérience inédite entre danseurs et spectateurs ;  l’antichambre du spectacle en quelque sorte.

En fin de compte, la question est bel et bien de repérer comment le corps déplace les fonctions établies par la vie sociale – cela tient de l’Histoire – et de se demander comment s’élaborent les nouvelles pensées du corps. L’art y est pour quelque chose.

 

Michel Vincenot
Février 1999

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