«Créé avec…»,     dit Pascale Gigon, interprète de la compagnie Abaroa/Olga de Soto. Mizel Théret de la compagnie Ekarlé dit en substance la même chose. Car il ne suffit pas seulement de citer le nom du chorégraphe pour être en paix avec sa conscience… la bonne conscience du programmateur qui se protège derrière l’image du chorégraphe signant l’écriture de la danse.

En amont de l’écriture, il y a les matériaux, portés par les interprètes mais aussi par les créateurs-lumière, les musiciens, les «sonoristes» et les régisseurs de plateau qui peaufinent décors et tapis de danse.

Et puis il y a aussi les publics, adultes, jeunes et enfants, sans lesquels il est impensable qu’une pièce trouve chair. «Créée avec» des professionnels, la danse compte aussi avec les gens du quotidien, tels qu’on peut les rencontrer dans la vie au hasard de la rue.

Au cours d’un voyage inopiné – histoire imprévue de passeport oublié par un danseur russe -, un témoin sensible, «Pierre le cuisinier», affirme que la danse est tellement éphémère qu’elle finit par laisser des traces durables au fond de l’être, comme une mémoire à laquelle ni l’école ni la vie ne nous avaient préparés. Une mémoire qui rend transparents les corps au point que l’on prétend un instant regarder les autres sans y chercher le double de son ego. Une image éphémère portée par l’énergie de corps traversant leurs propres limites et qui finissent, un jour, par devenir corps de clarté.

Le danseur apporte la matière vivante de la danse, le chorégraphe la compose et l’écrit. C’est une évidence. Mais c’est le spectateur qui y féconde le sens comme un écho qui grandit l’imaginaire.

Ce mystérieux mélange articule la danse geste après geste, mouvement après mouvement. Pour signifier au final que des danseurs-interprètes ont choisi les interlocuteurs privilégiés  que nous sommes.

La réalité est là. Celui qui écrit se nourrit des échecs et des espoirs glanés ça et là au hasard de la vie. Tout comme le chorégraphe écrit la danse au plus fort de la présence que chaque interprète confie à l’écoute des autres danseurs.

Vide au départ, le creuset s’emplit de multiples ingrédients adressés tel un patrimoine à des destinataires qui ne s’attendaient pas, ce jour-là, à être atteints par la fragilité des corps qui dansent.

Les enfants, chorégraphiés par Thierry Niang, en ont vécu l’aventure. C’était un week-end pluvieux à la Commanderie. La danse est ainsi. Elle fait de l’individu une personne unique. Quelqu’un d’irremplaçable.

Merci, merci à tous, aux enfants du quartier qui furent à la fois publics et danseurs.

La danse porte en elle le bagage de l’humain. Lorsque le monde ouvrit les yeux, le soleil était déjà haut sur l’horizon.L’humanité en fut tout étonnée.

 

Michel Vincenot

Festival de danse, 16 avril 1999

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