Si Hélène Cathala s’inspire du tarot égyptien pour questionner l’esprit du monde, la découverte et la méditation, ses oracles à elle ont pris une sérieuse profondeur. On s’attendait à voir l’imagerie naïve des prédictions d’un jeu de cartes, on découvre le corps en gestation. Entre l’intention de départ et l’aboutissement de cette création, l’effet perturbateur de ce quintet résume la trajectoire de deux hommes et trois femmes qui offrent la danse comme on aime la voir. Une danse investie des divers matériaux, des différents interprètes.

Exigeante, certes, car c’est une pièce qui n’attend pas l’effet «joli» pour satisfaire. La musique de Francine Ferrer tranche dans le vif de l’inconnu comme si elle avait rejoint d’emblée l’intention secrète de la chorégraphe. Les sons cisaillent le geste, ou, se glissent dans l’interstice du mouvement qui germe, puis se dit, puis s’abandonne à l’attente, à l’ordre ou au désordre. L’espace reste toujours lisible parce que le mystère est présent en filigrane comme pour inviter l’homme au rendez-vous de ses origines.

Il y a dans cette approche une démarche radicale. Déterminée à conduire jusqu’au bout l’impossible parole venue du chaos, Hélène Cathala ne transige pas. A chaque instant de l’exploration, elle coupe dans la chair tout ce qui peut l’empêcher d’être vraie. Et dans la même exigence, la détermination des danseurs réhabite la danse dans son état brut, c’est-à-dire dans la subtile recherche de l’équilibre.

L’espace s’effondre quand le corps a perdu ses repères ; l’espace se construit quand le corps y propose ses attentes. Toujours à la frange du basculement, l’espace tient sur le fil d’une proposition inattendue qui vient changer le cours des événements. Ce que la danse a trouvé de mieux à explorer, elle le dit en toute simplicité. Quant au corps, il prend la mesure de la fracture qu’impose la lumière quand elle traverse comme un glaive les univers oniriques de l’humain.

Entre la suspension, l’oscillation et le lâché, il y a la sensation de la présence qui redonne tout son sens aux touchés aveugles. Toucher pour situer les repères, toucher pour explorer plus loin les univers indicibles de l’être.

Ainsi, les portés à l’horizontale contrebalancent – comme en architecture – les portés verticaux. Ils conjuguent simultanément la gravité et l’esprit, la chute et l’élévation. Autant de situations paradoxales que la danse décline en toute liberté pour écrire l’humain dans sa riche complexité. Imaginez un instant l’homme à la fois poids massif et papillon évanescent. Imaginez aussi qu’il puisse dans le même temps marcher et s’arrêter, reculer et avancer ; chercher les appuis sur les pieds ou tenter un équilibre sur la tête. Un monde à l’endroit et un monde à l’envers. Une vision cosmique dont les regards croisés refont la synthèse. Ce qui est impossible à dire est possible à danser. De la vision oculaire à la vision rêvée, le nuancier des couleurs d’interprètes recompose tour à tour les individus entre eux ou les déstructure. Passage obligé de l’apprentissage du groupe ; les deux chorégraphes l’avaient déjà fait à merveille dans «Si j’étais toi».

Et lorsque vient la solitude finale, il reste une présence de l’instant, de ces instants contradictoires portés par un dilemme kafkaïen, traversés par des échappées furtives et des enfermements hagards. Les hommes ont ceci en commun : ils peuvent à la fois articuler le langage et inventer le rêve quand vient la lumière et disparaît le chaos.

Hélène Cathala voulait que cette pièce fût «une longue frise onirique où prennent place les figures du passé et les attentes à venir». Sans le savoir ou sans le vouloir, cette création l’a menée au-delà de ses attentes.

«Cinq de coupe» est le récipient de l’alchimiste où se mélangent hommes et femmes en situation de doute, de constructions et de déconstructions… Un espace qui colle à la juste condition humaine, un précipité des origines confrontées à la réalité du temps présent.

 

Michel Vincenot
6 février 2000

Distribution

 

Chorégraphie : Hélène Cathala
assistée de Fabrice Ramalingom
Cie La Camionetta

 

Danseurs

Rebecca Adam

Christophe Brombin

Ulrich Funke

Nathalie Hervé

I Fang Lin

 

Création 3 février 2000, Théâtre de l’Odéon, Nîmes

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