Cette question qui sera posée pour la danse par Daniel Dobbels (12 mars à 19h30) est une réflexion d’actualité. Le 10e festival de danses plurielles est un rendez-vous au terme de quinze ans de programmation de danse au Théâtre Saragosse.

Les chorégraphes et compagnies qui y ont déjà présenté leurs pièces ont une place privilégiée cette année. Par nostalgie du passé ? Certainement pas. En quinze ans d’histoire de la danse, ces danseurs ont évolué. Il nous semblait opportun de faire un état des lieux de cette histoire. Fabrice Ramalingom et Hélène Cathala (25 mars) reviennent sur la leur et s’en échappent, sans état d’âme, inscrivant leur dernière création comme un phare dans leur temps de danseurs d’aujourd’hui. D’autres ont gardé leur style en intégrant les nouvelles donnes d’une société qui bouge en permanence.

Mais la plupart du temps, ils se sont écartés de leur voie originelle. Christian Bourigault en est un témoin. Le jour de la présentation du festival (3 mars à 18h30), il change de direction et propose une approche inédite pour lui ; une relation privilégiée du danseur-comédien au spectateur, comme s’il était urgent de s’adresser personnellement à chacun des individus. Le théâtre contemporain l’a déjà tenté : Solange Oswald, par exemple, dans La mastication des morts de Patrick Kermann. Et ce n’est pas un hasard si les danseurs participent à la même réflexion. Mouvance de ce temps où il faut sans cesse remettre en cause nos comportements et nos attentes. Repenser les lieux de la perception et les endroits pertinents de l’échange. Il ne s’agit pas d’être mieux entendus pour trouver, comme dans les médias, le vecteur de la meilleure innovation, la plus à la mode possible. Notre médiation consiste plutôt à redonner
envie de regarder à nouveau notre existence par le prisme des arts, rendus plus difficiles lorsqu’il est question d’arts vivants. «Sans/Espace d’un quotidien», l’exposition photographique de Patricia Arminjon en fixe l’éphémère.

Mieux que quiconque, dans ces observatoires que sont les lieux artistiques, nous savons qu’il faut remettre en question nos acquis, nos privilèges, parce qu’ils sont avant tout les lieux de la parole des hommes. Les habitudes ancrées depuis deux ou trois décennies dans une soi-disant «tradition d’expérience» nous rendraient-elles à ce point étrangers à de nouvelles ouvertures ? Sommes-nous contemporains d’un passé nostalgique sur lequel nous avons bâti, une fois pour toutes, nos repères ? Cela n’a pas de sens. Ce ne sont pas les institutions qui sont sacrées, ce sont les hommes.

À sans cesse penser que seule notre propre histoire nous intéresse, nous finissons par oublier que nous sommes traversés par celle des autres. On peut, en effet, être contemporains de Bach et de Nicolas de Staël à la fois, et se sentir proches des danseurs qui ont fait bouger, jadis, des Dominique Bagouet et autres perturbateurs des idées toutes faites. Ligne de force de ce festival, nous tenterons aussi d’éclairer le parcours de ces mêmes danseurs qui regardent, quelques années plus tard, le monde tel qu’il est, alors que, depuis, ils ont investi d’autres voies.

Dans sa dernière création (7 et 8 mars), Caterina Sagna, l’italienne sulfureuse, va jusqu’à remettre en question les relations polies du chorégraphe à ses interprètes, dans une vraie-fausse conférence de presse.

Ce 10e festival sera donc le festival «de tous ces temps», pour reprendre le beau titre de la dernière création de Dobbels (13 mars). Des temps singuliers pour revoir Michèle Noiret et Héla Fattoumi (20 mars), et tous ceux que nous réinvitons : Gang Peng, Yvann Alexandre, Loïc Touzé, Pierre-Johan Suc et Magali Pobel.

Et pour ne jamais nous installer dans la tranquillité, nous ouvrons ce festival à deux autres chorégraphes : Paul-André Fortier du Québec et Carlotta Ikeda qui présentera un solo à la Commanderie et conclura en deux représentations de «Togué» ce 10e festival.

L’histoire ne restera présente dans nos cultures que si l’on consent à risquer nos propositions dans la modestie, sans chercher à réussir le coup du siècle. Depuis janvier, le Théâtre Saragosse est devenu Espaces pluriels, Scène conventionnée danse-théâtre. Nous ouvrirons à d’autres populations ces temps de la danse et du théâtre contemporains, en demeurant à l’écoute des individus et des artistes. De ce qu’ils ont à nous dire, ensemble. «Serait-ce ce temps-là qui nous offrirait la chance de sentir que nous ne cesserons jamais d’avoir eu des contemporains ? Conjurant ainsi la peur d’une danse à corps perdu.» (Daniel Dobbels).

 

Michel Vincenot
mars 2003

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