Quand on lui demande quelle femme elle est, Sylvie Pabiot répond :
« Je suis comme tout le monde. Je ne suis ni remarquable ni indispensable. Parfois même, je dois être insupportable.»

Et … en tant que danseuse, chorégraphe ? : « Je suis un animal pensant…»
Ce disant, elle profite du bel alibi de la citation d’Aristote. Aucun être humain, en effet, n’oserait se comparer à un animal, si pensant soit-il.

Et pourtant, la définition est juste. L’animal Sylvie Pabiot est du côté du mouvement dans lequel elle excelle ; et du côté de la pensée lorsqu’elle est chorégraphe, formée à la philosophie. Le mouvement, un truc mécanique ? Pas du tout. « Même quand le mouvement semble mécanique, il raconte toujours quelque chose.» Le quelque chose en question la hante depuis plusieurs années : comment se structure un collectif à partir de singularités qui composent le groupe ? Et comment l’individu y trouve sa place ? C’était l’enjeu de Un détroit, mais également de Objecte et Rézo, ses précédentes créations. Elle n’a de cesse de chercher à comprendre les solidarités souterraines qui se tissent en deça du visible.

En vérité, sous un joli visage au teint pâle et aux yeux clairs, se cache une femme déterminée à régler leur compte à toutes les rumeurs qui asservissent l’homme, ces discours qui ne disent rien et que tout le monde répète, à commencer par les politiques.

Sylvie Pabiot serait donc également politique ? Oui bien sûr. Dès lors que la danse est publique, elle devient un acte politique parce que le mouvement s’y engage comme une parole qui rassemble des corps parcellaires. « Nous nous tenons tous dans le noir, dit Daniel Keene, à l’extrême lisière de la terre ! Nous nous tenons auprès de nos feux solitaires. Nous nous rassemblons autour d’eux. Dans les carcasses défoncées de nos cités. Nous nous rassemblons dans la prison et l’asile de fous. Dans les camps de la mort. Mais nos feux se consument sans chaleur et sans lumière. Nous n’y voyons rien ! Nous ne pouvons pas savoir combien nous sommes proches de la fin. Nos feux ne peuvent pas illuminer l’obscurité qui nous cerne ! Et ces feux se reflètent dans nos cœurs ! Impossible d’illuminer l’obscurité à l’intérieur. Notre amour est aveugle.»

Soucieuse de dire des mots qui parlent, à la façon de Daniel Keene, Sylvie Pabiot construit la parole à divers niveaux, jusqu’au souffle qui mène à l’émotion, avec son feu intérieur et son obscurité. Les mots, elle les traite comme elle aborde la danse. Elle en extrait la musicalité et la physicalité, de la même façon qu’on construit un geste en fouillant dans la matière du mouvement pour chercher dans nos poussières et nos petits décombres les résidus que nous devrons recycler.

Mais alors, on perd beaucoup de choses ? Oui on perd énormément. La perte est nécessaire comme le deuil est indispensable. Il y a des moments qui échappent au réel et qui nous échappent tout court. Il faut continuer à creuser « pour voir où cela nous mène.» Et s’il y a déchet, c’est tant mieux ! Les déchets sont des petits trésors qui donneront une autre pièce un autre jour, plus tard ou peut-être jamais. C’est l’épreuve nécessaire de la parole qui se confronte au geste ; c’est l’épreuve indispensable du texte qui prend son ampleur dans le mouvement. C’est la raison pour laquelle Sylvie Pabiot « a peur du texte », par crainte d’être enfermée dans le mot. Alors, elle utilise le texte non pas comme une histoire à raconter mais comme une matière à danser.

Ainsi, dans le glissement du mot vers le geste, il y a comme une étreinte amoureuse dont on ne connaît pas tous les tenants et les aboutissants. Politiquement, ce serait l’entente, l’harmonie. Mais là où l’on vit bien ensemble, il faut aussi du chaos. En d’autres termes, il faut de l’obscurité pour être surpris par la lumière. « Il faut un corps pour obscurcir la trop grande clarté.» dit Daniel Dobbels.

C’est comme cela que vous regardez les gens dans la rue, Sylvie Pabiot ? « Je les regarde comme un paysage, comme le mouvement, comme la lumière. Je les sens comme des animaux. Je les devine et cherche à connaître ce qu’ils vivent, d’où ils viennent, où ils vont. Le haut de leur corps est particulièrement révélateur à ce propos…» car il est sans doute rempli des fulgurances et des secrets  qui constituent l’être et qu’on ne connaîtra jamais vraiment.

Et pour vous, qu’est-ce qui est secret dans votre vie intime, madame la chorégraphe ? Vos pensées, votre corps, votre imaginaire ?
À la veille de sa prochaine création Rumeurs, elle répond, petit sourire au coin des lèvres :
« Si je le savais, je ne le dirais pas… parce que c’est un secret.»

 

Michel Vincenot
Scène Espaces Pluriels
19 novembre 2009

Pour la Comédie de Clermont-Ferrand

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