Peinture de Jean-Louis Fauthoux

 

Cet homme qui doute sans cesse de ses œuvres – il les signe le plus tard possible – ne s’imagine pas à quel point cette peinture est une ouverture mystérieuse du temps sur l’espace.

Mystère de la matière, tout d’abord, qui change l’épaisseur du temps, chaotique au début, transparente au final, dont il ne reste que la mémoire des traces que l’histoire a laissées.
Mystère de l’espace ensuite, qui déploie le temps à l’infini.
Mystère de la vie enfin, où le geste premier puise dans des temps incertains la force inouïe de transformer les obstacles en clarté. On ne sait pas, en effet, vers quels horizons nous conduira l’obscurité, au-delà des limites naturelles qui contiennent l’homme dans ses enclos sécurisants.

« Il a fallu larguer les amarres du confortable état premier où l’on était, sur lequel on s’appuyait, et perdre ses excellentes localisations, qui tenaient l’infini hors des remparts. » (Henri Michaux, L’infini turbulent)
C’est sans doute en cela que cette peinture de Jean-Louis Fauthoux est pertinente.

Le temps transformé en espace est donc un défi où les imprévus du geste, parfois hésitant, parfois assuré, viennent rompre avec les habitudes convenues. Il faut en effet prendre en considération les ruptures, les accidents même, qui remettent en perspective un parcours inattendu. Au cœur de ce cheminement, des sursauts, des pulsions, des questionnements viennent rompre momentanément avec l’évidence du parcours tout tracé dans les strates de la vie.

Ces strates superposées sont reliées entre elles dans l’horizontalité et la verticalité. On y lit en effet le mouvement horizontal qui laisse transparaître les traces verticales du pinceau (ou l’inverse), à la façon du palimpseste, pour ne jamais laisser disparaître la mémoire de l’histoire, la réminiscence des gestes qui pourraient être perdus à tout jamais.

Plus encore, ce mouvement ouvert est tenu jusqu’au bout par un socle qui relie les événements entre eux. En musique, on appellerait cela une basse continue qui soutient et conforte la mélodie et l’empêche de s’effondrer. Non pas des notes de musique, mais des harmoniques, ultimes résonances du son qui continue de vibrer dans l’espace après que la note a été jouée par l’instrument ou la voix ; ultime résonance de la couleur dont seuls le geste et le pinceau du peintre gardent le mystère.

Et en danse, on appellerait cela les appuis des pieds au sol qui soutiennent le poids et qui, paradoxalement, projettent le corps dans sa hauteur (la verticalité) et libèrent l’amplitude du mouvement (l’horizontalité) qui nous mène au-delà de l’horizon.

Dans cet espace ouvert sur l’inconnu « il s’agit de rendre perméables mes propres limites à celles des autres »,  intuition magnifique du danseur japonais Saburo Teshigawara qui, jadis, a expérimenté dans son corps solitaire ce que le peintre a inscrit aujourd’hui sur la toile. Une méditation sur l’horizon.

 

Michel Vincenot
7 décembre 2016

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