Masculin pluriel – Christian Bourigault

Êtes-vous fier d’être un homme ?
«Je ne sais pas si je suis un homme».
Cette question en suspens met en mouvement le processus de Masculin pluriel. En tout cas, c’est le préalable qui a pu pousser Christian Bourigault à s’intéresser de plus près à ces paroles d’hommes, jamais énoncées, ni véritablement échangées. Une quête de l’identité masculine, lorsqu’il est proposé à ces hommes de livrer leurs paroles intimes. Quelle partie de votre corps préférez-vous ? Comment vivez-vous la paternité, les relations d’intimité avec votre femme ou votre partenaire ?… et bien d’autres questions qui émergent au fil des bavardages avec ces hommes, venus de tous horizons et de toutes cultures.

Mais le processus est depuis longtemps enclenché lorsque Bourigault réinterpelle sa propre danse et sa façon de l’écrire. Il réinvestit, geste après geste, pas après pas, la lecture, puis la réinterprétation de F. et Stein. L’intime très personnel que Dominique Bagouet avait osé en 1983 devient, vingt ans après, un chemin ouvert pour Christian Bourigault. Son audace : attribuer à Bagouet la capacité de transmettre et de s’investir dans la confiance que l’on peut faire à l’autre ; celle que Bagouet n’aurait pas hésité à donner.

Il y aurait donc un espace en friche, «une région du silence d’où on attend qu’un signe arrive» (Laban), pressentant que l’endroit traversé par la danse pourrait être le non-dit du corps dans tous ses états et dont il faudra désormais explorer les failles. Questions d’humanité ? Oui bien sûr, mais aussi questions de l’homme au masculin. Sans pour autant se fourvoyer dans une quelconque «revanche» du masculinisme contre le féminisme. Alors la danse s’éveille, au carrefour de propositions, de questions et de singularités masculines qui apparaissent soudain comme une évidence : la clarté qui surgit de la nudité met en dialogue les origines mythiques du corps et ses incontournables nécessités quotidiennes. La mobilité d’un état à l’autre, fussent-ils contradictoires, devient la condition préalable de la prise de parole et du corps en mouvement. La danse implose ainsi dans la multiplicité des accès à l’être et fait éclater la représentation monolithique du corps unique au profit des corps semblables aux identités différentes. «Pensez-vous que j’aie peur ou que je sois gêné ?»

Et d’un état du corps à l’autre, la mobilité ouvre au bout du compte la grande diversité des situations qui offre à chacun la liberté de se dire, dans ses contraintes et ses brutalités, dans ses attentes et ses tendresses ; de s’enlacer jusqu’à l’étouffement, de reprendre souffle dans la gémellité et d’échanger les rôles. Une histoire de mecs, bien sûr, et typiquement de mecs qui se racontent à leur façon, en confiant leurs mots, leurs gestes et leurs caresses un peu gauches, dans l’amitié profonde, fidèle jusqu’à l’ivresse. «Tu t’es pas rasé… ta barbe a deux jours au moins, je te connais… On va prendre une photo..». Ce «on» qui assimile le moment de l’un à la destinée de l’autre et la chanson fredonnée sur un contact musclé renforcent une solidarité toute masculine, «un peu tordue dans les coins», certes, mais toujours disponible quand la fragilité apparaît au grand jour. Les failles salutaires de l’enfant qui découvre le monde en dansant devant sa poupée de chiffon : le mou, le tordu, le désarticulé, le corps chancelant ; les brèches salutaires du souvenir assouvies dans la brutalité de la chute ; les paroles jamais dites qui trouvent à se dire dans le temps de la chair. «Quand le corps est pitoyable, dit Daniel Dobbels, il est en même temps traversé par des forces infinies.»

Après avoir dessiné les limites de son espace, l’homme le remplit, c’est une obsession masculine. Il y délire et se perd dans le passage des situations tragiques de la vie qui (apparemment) n’ont pas plus d’importance que cela. Cela, c’est sans doute très masculin, même si la vie laisse des traces parfois douloureuses d’une paternité mal assumée, ou plutôt mal comprise, ou alors mal reconnue. L’enfant volé à la masculinité est transposé dans la représentation commune qu’il est convenu d’appeler la virilité, parfois machiste, parfois naïve, souvent désemparée. Une histoire d’homme, des histoires d’hommes qui rendent hommage à leur(s) femme(s) et qui listent abondamment les sobriquets qui identifient leur(s) compagne(s), ou leur(s) compagnon(s), avec, en toile de fond, le petit air détaché qui les affranchit de leurs infidélités passagères, ne serait-ce que dans le discours qui en dit plus long que la réalité. «We love you…Vous êtes à l’écoute de Radio Pénis… fréquence 69… (nous n’en dirons pas plus).» Jeux de garçons, très masculins, dans l’insouciance mais dans la convivialité partagée. Et puis les situations répétées de déchirures profondes, des exclusions, qui marquent, jusqu’aux extrêmes de l’espace, l’obsession de la disparition. Devant le cadre d’une photo de l’absent(e) ou d’une orange posée maladroitement dans l’attente du retour, la veille douloureuse se fait violente. La perte est effectivement un meurtre, le meurtre du père que l’on assume tant bien que mal dans des fantasmes pornographiques. Une gageure pour se donner encore de l’importance, une importance si fragile… comme les témoignages vivants qui rythment Masculin pluriel.

Spectacle ? On ne sait plus exactement.

Ce qui est dit sans précaution n’est jamais repris. Donné, c’est donné, là, dans l’instant. «Avez-vous déjà été humilié ?…» L’acte au présent nous est jeté à la gueule sans fausse pudeur. Du solo naïf ou du récit sincère venus de l’enfance, jusqu’à la féminisation du masculin sur fond d’un opéra de Puccini, votre instabilité bien masculine passe aussi par le vis-à-vis de la gémellité. La distorsion des membres est un défi d’hommes et un flagrant délit d’amitié… Alors, un peu de repos, les mecs. Quand vos turbulences et vos tendresses ont tout arraché sur leur passage, vous savez aussi redire à votre façon le beau parcours de la solitude androgyne, sur fond de Nastassja Kinsky dans Paris-Texas.

Et si, pendant deux heures de temps, il vous arrive de dire avec force votre révolte, vous savez partager l’énergie généreuse de l’homme au masculin qui émerge du centre de l’intime et qui affleure à la surface de la peau jusqu’à la faire vibrer dans le spasme.
Alors votre parole est restituée là où elle devait se poser.

 

Michel Vincenot
26 mars 2002

Distribution

 

Chorégraphie Christian Bourigault

 

Créé et interprété par

Cyril Accorsi,

Philippe Cohen-Selmon

Henri Emmanuel Doublier

Walter N’Guyen

Laurent Perrier

Alban Richard

Noele Van Kelst

David Wampach

 

Cie de l’Alambic

Je, tu, nous : les jardins secrets – Christian Bourigault

En définitive, nos «jardins secrets» protègent nos complexités humaines. Elles deviennent une évidence lorsqu’elles sont savamment construites dans l’espace de la danse autour de lignes et d’un carré divisible en quatre, partagé par les individus qui opposent au groupe la résistance ou l’abandon de leurs désirs personnels. Là, les danseurs, deux hommes et deux femmes, sont japonais et européens pour signifier que l’Occident et l’Orient vivent les mêmes engagements universels … et les mêmes troubles. Mais de façon inversée.

«Les jardins secrets» de Christian Bourigault agencent en clair et dans la précision ce qui d’ordinaire est réputé privé, secret comme les méandres de l’humain. Cette pièce est la projection des balbutiements, des peurs ou des audaces devant l’événement étranger que représentent «les autres».  Par définition, ils nous échappent. Mais au-delà du constat des différences culturelles entre l’Europe et le Japon, il y a un enjeu d’importance : celui de l’homme confronté à ses questions et à ses absences, volontaires ou inconscientes, qui le protègent du collectif.

C’est par une série de portraits projetés à l’écran que commence la dialectique du «je, tu, nous». Question mythique qui a marqué à tout jamais l’humanité depuis son origine dès lors que la communauté fut obligée de vivre ensemble, et dans le même temps de différencier les individus entre eux. D’abord les sexes, bien sûr, principale différence entre les êtres, appréhendés comme une tension constante du désir impossible ou de la parole en gestation. Puis, les traditions culturelles qui impriment pendant des millénaires les habitudes de vie et de pensée ; les diverses façons de communiquer avec ses semblables par l’intermédiaire du collectif indifférencié ou de l’individuel en conflit avec soi-même, et par conséquent avec les autres.

Christian Bourigault pose parfaitement le problème qu’il écrit dans la concision. La danse, cet art du «corps dépourvu de la parole» tente une approche de ses propres limites et les traverse :  l’état du corps destiné à parler. Paroles individuelles de quatre solos qui s’enchaînent par substitution de l’un à l’autre. Paroles de duos construits comme des tentatives à prendre, à s’abandonner ou à se protéger. Paroles du «seul contre tous» lorsque la situation devient tendue à l’extrême. Parole contre parole écrites dans le langage direct du corps.

La cohérence de la pièce, rythmée par des traversées en quatuor, tient dans l’agencement de l’espace de la danse comme lieu possible de la dépossession de soi, ou de la respiration et de l’apaisement. Ou encore pour régénérer l’énergie au contact du sol, en oubliant qu’il faut parfois sacrifier l’attente individuelle au profit de la survie du collectif auquel on appartient. Ces traversées agissent comme un coup de semonce qui oblige à l’écoute désintéressée, à devenir des passeurs entre son propre désir et la réalité commune. À mettre en situation le corps entre reculades et poursuites, entre le face à face obstiné et le mimétisme, tantôt conventionnel, tantôt défensif. Cette danse-là est tout aussi complexe que lumineuse comme l’est l’engagement de tout être humain dans l’amour ou la haine, la peur ou le plaisir …  Toutes ces contradictions s’imbriquent dans les corps des danseurs de la même façon que les individus sont impliqués dans la complexité de la vie des autres.

Quatre solos aux quatre coins d’un espace géométrique, imposé par la loi du groupe, se terminent par une traversée. J’allais dire … par l’audace de pénétrer en diagonale l’espace commun, à la manière du sabre qui tranche dans le vif.  Dans le couloir de la belle lumière de Sylvie Garot, le solo puissant d’Hideto Heshiki  introduit une tension entre l’épreuve de la confrontation et l’affirmation de sa propre identité. Dans une marche qui ramasse le corps entre mains et genoux, le danseur tâtonne dans une avancée vers l’affrontement contre tous, ou contre soi-même. La posture d’attaque meurtrière déviée en rituel de combat préserve la règle collective qui dessine l’espace de chacun.

Quatre carrés délimitant une géométrie de l’intimité glissent l’un vers l’autre pour annoncer un événement frontal. Quatre danseurs en ligne portent à notre attention un regard prémonitoire. L’harmonie bascule après les lâchés, les effondrements et les resaisissements d’un quatuor qui vit et respire ensemble sans que les danseurs ne se touchent. Le poids glisse, roule au sol et se suspend. Le corps s’enroule et s’effondre. Ce quatuor repris aux endroits décisifs de la pièce ouvre des passages comme une sorte de refrain qui relie momentanément les uns aux autres sans que l’on sache à quel moment la rupture se produira. C’est une concession au collectif. Il suffit qu’un événement change la règle du «je» et voilà que l’espace de tous devient le territoire du solitaire face aux trois autres.

Dans ce face à face où trois danseurs reproduisent en écho les impulsions d’un seul, le mimétisme fait resurgir l’ambiguïté humaine : sauvegarder le collectif tout en protégeant l’individu contre de possibles dépossessions. Malgré la distance qui sépare le danseur des trois autres, cette attention soutenue déclenche le mouvement proche, c’est-à-dire présent à toute éventualité d’effacement de l’individu dans l’assimilation par le groupe. Lorsque l’échappée se produit, c’est par le pied que la danseuse est arrachée, retenue en une sorte d’arrêt sur image d’un reportage pris sur le vif du direct. Le pied, les pieds, les assises du corps qui d’ordinaire assurent sa verticalité, se trouvent pris au piège du désir d’autrui, sans concession, sans possibilité de rétablir le corps dans sa liberté de répondre au désir ou de le refuser.

L’image projetée à l’écran, presque en temps réel, montre à quel point la situation s’étoffe d’une vraie dramaturgie. À cet instant, la pièce de Bourigault nous détourne vers les relations homme-femme, après avoir évoqué le préalable des rapports de l’individu au groupe. Ce changement de direction est formidablement construit . Quand elle est écrite avec intelligence, la danse devient l’évidence du mouvement transmis d’un espace à l’autre et elle change, au passage, le sens même du corps. Le pied prisonnier devient donc l’intermédiaire de la rencontre de deux êtres. Pris au piège de l’ambivalence du désir consenti ou refusé, ce duo de danseurs inverse le sens des choses. Merci la danse ! La danseuse Akiko Hasegawa est contrainte d’abandonner ses appuis verticaux et se trouve, le temps de ce contact, transformée, pliée, soumise. Tout l’espace s’enroule autour du pied en appui sur le visage du danseur. Ce contact ne lâchera pas le mouvement obsessionnel, tenu jusqu’au moment où la danseuse se dégage, avant d’être figée net par un porté dans le dos.

Cette danse traverse le corps massif des autres, entre désir d’attraction et pouvoir de répulsion. Le danseur Arco Renz s’infiltre dans l’amalgame passionnel de la fusion. Comme le mollusque tiré de sa coquille, il en extrait sa partenaire qu’il laisse littéralement se liquéfier au sol. Le corps se lâche par abandon lorsqu’il n’a plus la force de lutter. Peur ? ou sécurité retrouvée ? Un mélange des deux sans doute, comme le tremblement communicatif, juste après l’accident qui nous met en état de choc. Une telle scène sous le regard des autres doit être exorcisée par l’intelligence humaine. On reproduit donc la situation en la déviant de sa destination première. Le duo devient deux duos. L’un dans l’enlacement qui apaise et stabilise l’équilibre du corps par le contact des crânes. L’autre dans la feinte d’une approche furtive entre Hideto Heshiki et Patricia Guannel qui magnétise par saccades le partenaire offensif.  Approche subtile faite de rapprochements et de départs. Les relations homme-femme sont ainsi  régénérées sans bavardage avec la force que la danse sait communiquer.

Revient alors le refrain du quatuor : une course, une respiration, puis un nouveau blocage de la situation. L’humanité provoque éternellement, après l’oubli, les événements qui la mettent périodiquement en danger. La diagonale, cette belle traversée de l’espace qui appartient à tous, est à nouveau occupée par un face à face d’un danseur en direction du groupe solidaire des trois autres. Protection du groupe contre une approche d’intimidation ou d’apprivoisement ? Cette pièce est sans cesse ponctuée de paradoxes. Les relations humaines y sont mises en exergue dans ses contradictions les plus accrues. Le danseur solitaire se glisse entre deux filles. La division des corps faisant écho à la division de l’espace, le duo des deux hommes joue sur l’ambiguïté d’un combat à la fois viril et tendre, soutenu par le violon grinçant de la musique de François Marillier, qui se termine par un entassement des corps, une superposition des poids. Le poids du corps mais aussi le poids des contraintes du groupe et des complexités du couple .

Des couchés au sol, des tendus, des repoussés, des tirés et le contact des mains qui malaxent le visage entre déchirements et caresses.  Et au terme de cette magnifique complexité, le partenaire est accueilli en bascule au creux d’un corps lové comme le nourrisson l’est dans le giron de sa mère.  Ces images ne sont pas simplement belles, elles sont fortes et prégnantes.

C’est dans cet univers que les deux hommes vont chercher les filles. La course en échappée réhabilite le groupe parfois nécessaire à la cohérence des relations intimes. Et du groupe s’échappe un solo, celui de Patricia Guannel qui fait à elle seule la synthèse de cet espace troublant. Le corps y rassemble le haut, le bas et toutes les directions jusque là morcelées par des attentes individuelles, convoitées par chacun pour s’approprier son territoire-à-soi, sans cesse à l’affût de tout ce qui a pu y déranger l’ordre, le repos, la confiance. Dans la dynamique de cette écriture, le solo ne pouvait qu’aboutir à l’ellipse de la transe autour de laquelle se resserrent en étau rassurant les trois autres partenaires. Des mots intimidés sont articulés dans un puits de lumière.  «Patricia ? … Patricia ! …», des mots de tendresse et d’écoute après le choc frontal de quatre danseurs, tantôt réunis deux à deux, tantôt mis l’écart du groupe et parfois même de leur propre destin.

Subtilité d’un solo qui affine le balancement du bassin de la danseuse, tête et cheveux tournoyants, jusqu’au bout d’un duo de filles où l’une prend à son compte le poids de l’autre. Femme enceinte aux lignes déformées qui transmet à sa confidente l’empreinte de son propre corps et qui finit par se laisser accoucher d’elle comme une re-naissance après un passage aux Enfers.

Tout s’apaise au rythme des photographies de portraits qui refont en accéléré le trajet parcouru. La trace laissée sur les «gros-plans» de l’image amplifie l’écho des corps qui poursuivent leur histoire dans l’obscurité du sol. Des aventures individuelles ont croisé celles des autres. Seule demeure la trame d’un entrelacs de gestes et de visages qui ont inscrit leurs traits sur le palimpseste de la danse.

 

Michel Vincenot
20 mars 1999

Distribution

 

Chorégraphie Christian Bourigault

 

Danseurs

Patricia Guannel

Akiko Hasegawa

Hideto Heshiki

Arco Rentz

 

Musique François Marillier

 

Lumières Sylvie Garot

 

Où ? – Christian Bourigault

Au bout d’une diagonale inhabituelle, l’espace n’est plus au centre. La terre est sens dessus dessous. Quand le corps se désintègre au sol, c’est parfois à la périphérie de l’espace qu’il refait en sens inverse le chemin d’où il vient, entre l’os désarticulé et la chair retrouvée. «Où ?», le solo de Christian Bourigault, est une expérience lucide de l’envers et de l’endroit.

Il est rare de voir aussi bien dansée la dualité du corps. Un duel qui ne fait pas semblant, qui jette à la figure la perte des sens – du sens pourrait-on dire – lorsque les mains se séparent du corps. Elles qui, habituellement, ont le pouvoir de traverser l’espace, de devancer le contact, ou de caresser tout simplement. Les voilà donc perdues dans une vibration mystérieuse, séparées du corps de ceux qui ont souffert. Il faut décidément repartir d’où l’on vient pour reconstruire ce qui n’appartient qu’à soi-seul. Un défi de se mesurer à l’espace incommensurable du monde qui n’est plus à la mesure des jambes, des bras, du corps tout entier. Ou alors, il s’agit de franchir des seuils que l’on pensait définitivement acquis. Et par le fait, la danse de Christian Bourigault restitue à tous une réponse au désir de se refaire, ou de refaire à l’envers le trajet universel traversé par chacun.

La réponse ne tarde pas à venir. L’espace est redessiné, circonscrit dans un carré, à la mesure de l’homme, capable à nouveau de composer avec la fluidité des limites. «L’entre-deux» s’organise, le chaos revient à la vie. L’os s’habille de chair. La respiration reprend le dessus. Le regard retrouve des directions adressées, c’est-à-dire investies d’une intention vers un autre soi-même. Des directions qui reprennent appui sur la gravité du corps qui consent à nouveau à se tenir debout, à son endroit. À l’endroit où il convient d’être pour redonner un sens à l’existence.

Le défi, passage obligé vers le mouvement, redessine l’ordonnance comme un tableau repeint par dessus, après le choc, même si demeure la trace d’une souffrance récente qui revient comme une mémoire nécessaire. Pour ne pas oublier. Pour ne rien perdre de ce que le corps garde inscrit en lui. Les pieds joints gardent la mémoire du vacillement. La cassure est irrémédiablement présente dans l’équilibre retrouvé, au prix de la fragilité. Un corps duel, réuni en un seul qui peut désormais regarder lucidement où il veut aller lorsque l’ossature est réhabitée par la chair en respiration.

«Où ?» pose une question réaliste qui ne cherche pas à gommer les ruptures, ni à savoir comment les oublier. Ce solo incisif s’inscrit dans un temps serré pour ne rien perdre de l’urgence à vivre au plus près de son corps, c’est-à-dire au plus près du lieu humainement habitable entre l’origine et la destination, et laisse au passage le corps des autres dans une attente qui brise toute uniformité.

 

Michel Vincenot
20 avril 1997

Distribution

 

Chorégraphie et interprétation

Christian Bourigault