Éditorial brochure Festival Plurielles 1995
Le silence précède toujours la création. Que peut-on souhaiter de plus signifiant en préambule d’un festival ?
Au mois de février, Jacques Patarozzi et six de ses danseurs travailleront leur nouvelle création au Théâtre Saragosse, dans le silence, juste avant que le public ne se réapproprie le spectacle, n’y investisse son regard, son intelligence. Ce sera l’inauguration du festival de danse 1995.
En ces temps où les intérêts privés l’emportent sur la morale publique. En ces temps où toutes les religions affirment La vérité de manière péremptoire alors que règne par ailleurs la confusion du désarroi, les artistes devraient-ils à nouveau reprendre la parole ?
Dans ce cas, il faudrait mettre les poètes sous haute surveillance, ou bien, contenir les publics dans des parcs à clones afin que chacun reconnaisse perpétuellement dans ses semblables des modèles identiques. Le bonheur leur serait ainsi garanti. Pour notre part, nous préférons le discernement aux retranchements dogmatiques, s’il est encore temps de changer les choses.
C’est pourquoi nous commencerons par les tout-petits. Deux jours de découverte et de spectacle leur seront entièrement consacrés. La chorégraphe Dominique Rebaud les accompagnera le premier jour dans des écoles, le lendemain sur le plateau du Théâtre.
Puis, de soirée en soirée, Plurielles restera fidèle à ses engagements : donner à voir des corps qui dansent, dès lors que des chorégraphes ont pris le parti d’en exprimer le mystère. Car il y a, il est vrai, une grande part d’aléatoire, de subjectivité, dans l’appréciation que nous portons sur les arts, quels qu’ils soient. Mais il y a aussi cette toute petite parcelle que personne n’est en droit de revendiquer puisqu’on ne sait d’où elle vient. Elle s’écrit en deux mots : le bon sens populaire et l’intuition poétique des artistes. Tous deux échappent à notre entendement. Le poète lui-même est incapable d’en expliquer l’origine.
Nous voici donc transportés, au-delà des vérités individuelles, vers des parcelles d’inconnu qui portent un nom : l’universel, surgi de l’écoute minutieuse des autres, dont personne ne pourra jamais se prévaloir.
Alors notre seule chance est de proposer nos fragments de parole, non pas contre celle des autres, mais pour une aventure commune, inouïe, à laquelle les arts – et notamment la danse – nous convient, sans obligation d’adhésion unanime. Car ce qui tient de l’universel est vrai pour les individus auxquels on doit sans cesse la grâce de rester attentifs, respectueux de leur liberté de jugement, ou de leur liberté tout court.
Les danses Plurielles, en cette deuxième année, traceront peut-être ces chemins indicibles, mystérieusement vivants, tant on les croyait inimaginables.
Michel Vincenot
Décembre 1994