Trois petites pièces en zig-zag, sous forme de points d’interrogation. Sans lien apparent les unes avec les autres. Ou, au contraire, elles sont intimement reliées les unes aux autres, tant la danse d’Olivia Grandville est représentative des arts contemporains, et bien évidemment de la danse d’aujourd’hui qui ne peut dire les choses jusqu’au bout, par impuissance honnête à combler les attentes de nos voisins de vie.
Olivia Grandville, pose son regard serein sur ce monde. Des bribes, des tentatives lucides qui sont à la danse contemporaine ce que la parole fragmentaire est à notre existence de cette fin de siècle. Elle ose donc en toute tranquillité chorégraphier ces trois pièces, dont la première pour six danseurs «Ad libitum», cherche la danse sur une musique devenue silencieuse ! Gageure ? Certainement pas. Plutôt un sens aigu de la réalité. Cette chorégraphe d’expérience fait danser ses interprètes, chacun à sa guise, ad libitum, sans chercher la complicité facile.
C’est donc l’écho des autres qui va mener le plus loin possible la recherche de l’expression au plus près des corps ; d’un espace qu’il faut redécouvrir pour se parler à nouveau ; d’un mouvement qui vient en-deçà du geste, jusqu’à ce que l’exigence du sens s’écrive. Chacun à sa guise construit la danse qui devient la danse des autres. Mais pas n’importe comment et n’importe où, par transmission de l’un à l’autre, et non par mimétisme.
Olivia Grandville a horreur des ensembles esthétiques. Elle refuse l’uniformité. Ses danseurs cherchent la justesse jusqu’au bout de leurs doigts, jusqu’au cœur du silence, lorsque tout a été tenté. Le but de l’art n’est-il pas justement de mener au silence ?
Alors ? Mais alors quoi ? Où est le spectacle ?
Surtout pas où on l’attend. Olivia Grandville n’a pas l’intention de nous bercer de douces illusions. Elle ouvre grands nos yeux sur ces passages nécessaires qui grandissent l’homme, dès lors que les verbiages se sont tus. Alors c’est la musique des corps que l’on entend, et si l’on osait dire : «la musique du mouvement» ennobli à l’état de respiration des corps, sans concéder aucune complaisance.
Et c’est ainsi qu’elle reprend le fil de ses danseurs. En duo, elle explore cette fois-ci tout le corps musical «Une drôle d’histoire dans les tuyaux» qui mène le geste jusqu’à l’extrême du possible pour en livrer l’expression la plus complète. «Un duo sentimental, dit-elle, impudique et hasardeux du genre qui se balance des interrogations conceptuelles et se livre sans détour à l’immédiateté du geste.» Provocation des mots, perfection d’une danse élaborée qui explore tous les possibles du corps et de l’espace, sous le regard attentif et sous les doigts de Sirène Pimpon aux claviers.
Olivia est une grande joueuse. Le «Capharnaüm» qui termine ce parcours en zig-zag démonte pièce par pièce le puzzle des choses qui nous sont quotidiennes. Perdus dans ce bric-à-brac, les danseurs reconstruisent en même temps que la danse les lieux coutumiers de la vie : la lecture, la musique, le rythme, le repos. Refaire à la fois le décor et réécrire le mouvement de la danse est le petit clin d’œil ludique d’Olivia Grandville. Elle reconstruit la vie à la façon de l’enfant qui apprend le monde de la découverte, de l’écoute, du temps et de l’imagination. Le monde des autres en quelque sorte.
Michel Vincenot
12 Octobre 1996
Distribution
1. Ad Libitum
Chorégraphie Olivia Grandville
Partition Kasper T. Toeplitz
Danseurs : Magali Caillet, Frédéric Gies, Olivia Grandville, Dominique Grimonprez, Annabelle Pulcini, Pascal Queneau
2. Duodenum
Danseuse Olivia Grandville
Assistante Viviane Séry
Claviers Sirène Pimpon
3. Capharnaüm
Musique Woudi
Conception Olivia Grandville
Assistante Viviane Séry
Chorégraphie et interprétation : Magali Caillet, Frédéric Gies, Dominique Grimonprez, Annabelle Pulcini, Pascal Queneau
Accessoires décor Michel Vanspeybroeck
Lumière Marie Vincent
Son Francis Maillé
Costumes Anne Deschaintres