Et si l’on s’arrêtait pour faire le point ?
Et si l’on s’arrêtait pour danser à nouveau ? Pour mettre en filigrane les expériences acquises ; refaire à l’envers l’itinéraire qui a nourri le geste depuis des années. Le mouvement s’efface devant l’ineffable ; l’événement nous surprend derrière la limite que l’on n’avait jamais franchie.
Si la danse contemporaine autorise cette fragilité-là, c’est parce qu’elle « part d’un corps qui est perpétuellement sans modèle » dit Laurence Louppe. Si la danse traverse en toute liberté les fragilités humaines, c’est que, à travers elles, c’est le corps qu’il faut sans cesse réinventer.
«Il», l’anonyme, l’androgyne … ou alors le balbutiement très personnel d’une danseuse de longue expérience qui ponctue en solo les ancrages dont elle veut se dépouiller.
Elle … c’est Isabelle Lasserre, papillon éphémère surgi du bruissement du cocon. Non, ce n’est pas le grand spectaculaire qui doit étonner, c’est la force, la capacité de remettre en question l’existence. Celle du corps, désormais éprouvée par le désir de sens, par l’expérience du rythme et la respiration échangée avec ceux auxquels elle est destinée. Le spectateur d’un jour deviendra l’humain partagé.
Ce solo est touchant, parce que «Il» est en point de suspension. C’est un mouvement commencé qui ne parvient pas encore à destination.
Elle en est là, Isabelle, à ce point crucial où le corps, défait de ses artifices, a besoin d’accessoires pour rallier le geste clair qui résonne à nouveau. Pour délier l’intérieur comme on dénoue ses cheveux, libres, flottant sur des yeux parfois transparents, quelquefois perdus.
Ce solo est troublant. Il est un combat opiniâtre où l’on s’essaie à la recherche d’une raison d’exister. La sienne, pas celle des anonymes … Ce solo est troublant, parce qu’il jette au regard des autres le désir mis à nu. La vibration des doigts qui renaissent à l’espace pour y insuffler une nouvelle présence. Il est flottant cet espace, en quête d’amour, au sens universel où l’on rejoint le temps des autres.
Isabelle est un peu à l’image de sa poupée recroquevillée qui vient plus tard redonner sens à l’habit du vivant, la matière du corps. Sous la petite robe de chiffon, la simplicité des lignes laisse échapper le parfum subtil du mouvement retrouvé. Le corps remis à nu sur une petite danse des pieds.
Les pieds ? Les voici à nouveau. Ils nous avaient échappé ceux-là. Une fois chaussés, c’est le corps tout entier qui reprend ses droits, ses appuis au sol. La danse est belle quand elle défie la gravité. La suspension est magique quand elle devient conscience de la verticalité.
Il faudra, en fin de compte, réapprendre les mots. Les mots maladroits, les mots perturbateurs. Il faudra traverser les voies contraignantes et n’oublier aucune étape. Le cerf tombe ses bois pour refaire peau neuve à la pleine lune et meurt au lever du soleil pour avoir trop aimé.
Michel Vincenot
28 juin 1997
Distribution
Chorégraphie et interprétation Isabelle Lasserre
Objets plastiques Odiles Béranger, Christine Paquier
Musique Garlo – CIP Auto Coproduction
Lumières Eric Blosse
Textes Louise Labé