Festival de danse Plurielles 1998

 

La pierre sur laquelle il se reposait était le seul témoin de ses pensées. Mis à part les chèvres, bien sûr, qui connaissaient depuis la nuit des temps le moindre de ses gestes.

«Excusez-moi Madame, mais quand le monde apprenait à lire et à écrire, moi je gardais les chèvres ...»  C’était la seule phrase qu’il répétait correctement avec une savoureuse politesse. Le reste du temps, il ne connaissait que le silence, et les chèvres bien sûr. Par hasard, il avait appris que l’on pouvait « lire l’alphabet entier du désir quand une main traverse l’air à la rencontre d’une autre main.»*  Mais il était inhabituel qu’il croisât d’autres gens. À vrai dire, il ne connaissait que l’espace. L’espace rare qui fait bouger sans cesse toutes sortes de désirs.

Cet homme aux grands yeux clairs ne connaissait rien du monde. Mais n’importe quel chorégraphe eût appris de lui que le silence pouvait s’ouvrir à la présence charnelle et généreuse du corps. Après tout, si ce monde est pressé, qu’il apprenne à vivre avec le temps. Et s’il ne restait que le silence, ce serait le plus beau cadeau que la danse nous offrirait en héritage.

 

* Paul Auster, Espaces blancs

 

Michel Vincenot
3 avril 1998
Merci à Léo, suite au spectacle « Elles, nous, eux » de Robert Seyfried.

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