Derrière l’enfance, se cache la cruauté du monde. Entre l’enfant triste de Rimbaud et l’enfant aux paupières cousues d’Aldo Naouri, Catherine Diverrès tranche dans lunivers de ces enfants perdus à tout jamais pour avoir côtoyé de trop près les adultes assassins.
Catherine Diverrès, la poète d’où résonnent les souffrances du monde, confie à 4 danseurs + 1 (celui qui cristallise la cruauté du propos) l’excellence de mener jusqu’au fond le désarroi d’une humanité qui transmet le pire à sa descendance : les enfants meurtriers. Et dans cette histoire, la danse nous offre un paradoxe : elle surgit du silence par l’écoute extrêmement précise de cinq interprètes entre eux ; entre la pulsion de mort dont il est question et l’attention aux autres que nous transmettent les danseurs. Paradoxe d’une enfance qui reproduit le mythe de Caïn et Abel, après qu’elle ait perdu définitivement l’occasion de sublimer ses pulsions dans un imaginaire, fût-il fantastique. «Pourquoi alors continuer de flatter Pinocchio qui est en chacun de nous en l’incitant à conférer à son enfant une stature angélique ? Ne vaudrait-il pas mieux lui dessiller une bonne fois pour toutes le regard et l’encourager à fabriquer une vraie crapule, seule stature capable d’affronter, un jour, la cruauté de ce monde où on l’a fait venir ?» Vision radicale du pédiatre Aldo Naouri, mise en regard du “Bateau ivre” de Rimbaud : «Un enfant accroupi plein de tristesse lâche un bateau frêle comme un papillon de mai».
Cet entre-deux-mondes jeté avec réalisme et tenu par la délicatesse de Catherine Diverrès est l’endroit le plus sensible et sans doute le plus juste pour dire l’humain, entre le cœur et le robot. L’endroit très exactement précis où l’être, enfermé dans son propre monde, se voile la face et se ferme à l’écoute de bras désespérés et de corps en échappée. Il mâche du chewing-gum pendant que le monde s’entretue… Silence tout le monde, on tourne du tragique à la télévision.
Le silence en effet, parlons-en. Contre-pouvoir d’un monde qui a perdu la tête. Une bille roule dans le noir pendant que le corps s’efface. Elle emporte avec elle l’univers de l’enfance devenu absurde. Entre chocs violents et disparitions subites qu’on ne veut plus regarder, des drames surviennent en pleine lumière. Des enchaînements d’événements que l’on ne veut plus voir par crainte de devenir aveugle. «Regarder, c’est l’intention de voir» disait récemment un adolescent de ce monde-là. Mais il faut être particulièrement lucide pour affirmer cela aujourd’hui. Il faut avoir une idée précise de l’enchevêtrement de l’être au monde, de ces sauts, de ces évitements ou rencontres que cinq danseurs portent à l’évidence de notre regard et de notre cœur.
Et si, au bout du compte, Catherine Diverrès fait s’entrechoquer deux univers : la réalité violente et la poétique de l’imaginaire, c’est pour laisser en attente une étincelle encore possible dans l’entre-deux des hommes, suspendu au petit chant fragile du «ciel par-dessus les yeux».
Michel Vincenot
13 mars 2000
Distribution
Chorégraphie Catherine Diverrès
Danseurs :
Carole Gomes
Osman Kassen Khelili
Nam-Jin Kim
Isabelle Kürzi
Fabrice Lambert
Création 10 mars 2000, Rennes