La vie préserve l’étrangeté des matins nouveaux
comme un trésor secret fait de désirs inavoués.
C’est ainsi que l’esprit cherche sa force,
c’est ainsi qu’il trouve à inventer les mots.
L’amour partagé invente les siens ;
l’amour traversé les ouvre grands au large
et met en éclat les nuances de la pierre précieuse,
jour après jour.

Ne me touche pas…
mais… ne me quitte pas des yeux.
L’improvisation s’installe. Le regard dans les yeux dessine l’impeccable diagonale d’un carré ; tension tenue par un espace qui s’offre à l’autre quoiqu’il arrive. Habité par le calme, la précision, l’ultime. L’ultime présence qui débarrasse des bagages encombrants, les «impedimenta» latins…

Puis, un tout petit mouvement, presque insignifiant, vient du silence, comme d’un monde engendré par le néant. « Du rien » en quelque sorte, du petit rien déclencheur de miracles. Le geste est là mais il n’est pas encore visible. La distance devient alors une relation de proximité. Et la proximité, une confrontation des limites que chaque danseur s’impose pour respecter l’espace de l’autre ; énergies aux couleurs contrastées qui s’effleurent et s’entrechoquent en restant attentives aux vibrations d’autrui. Ce sont des traversées dans des corps transparents qui, au-delà de leur matière, nous rejoignent en plein centre.

«Stop !», c’est la consigne que donne le public au moment le plus inattendu. Alors le mouvement s’arrête là où il avait commencé en installant dans le creux de la rencontre un vide, une attente dont nul ne sait ce qu’il en adviendra, comme une naissance, au fond. L’arrêt soudain porte à l’évidence ce qui a fait naître le mouvement, et laisse imaginer l’endroit où il aurait pu nous conduire. Mais ce qui n’est pas conduit jusqu’au bout restera dans l’ordre du possible ; éphémère pensée du geste qui imprime l’éclair d’une trajectoire dans notre imaginaire, comme si le geste enfoui s’était prolongé jusqu’à l’infini. Quel beau partage et quelle belle connivence entre quatre interprètes : deux danseurs, un musicien et nous, le public !

Car, c’est plus qu’un exercice de style que propose Yann Lheureux, c’est un état d’esprit. Cela suppose une ouverture au temps, à l’espace et aux autres – danseurs et témoins, tous confondus -. Le musicien rassemble sous ses doigts les frôlements matériels du mouvement et résume en un rythme circulaire toutes les tentatives du corps engagé dans la danse. Quant à Sandrine Maisonneuve, l’autre interprète de ce quatuor, elle anticipe sur les situations qui devront, quoiqu’il en coûte, s’accomplir jusqu’au bout, dût-elle mettre en réserve l’énergie qu’elle avait décidé d’extraire.

Extraire et retenir sont la conscience aiguë du moment, pris sur le vif de l’intensité.  A deux égards : la mort (ou l’impossibilité à faire) quand l’arrêt brutal impose une frustration. Et la réactivation du corps et de ses moteurs lorsqu’un départ inattendu survient dans l’espace de la chair. Le lien se fait en-deçà et au-delà du mouvement mais jamais dans l’instant. Car la danse de Yann Lheureux est une ellipse qui enveloppe tout sur son passage et qui suspend, par miracle, au-dessus du vide, les attentes du corps dans ses états d’être. On regrette simplement que ça s’arrête si vite… Mais, c’est le propre du désir !

Michel Vincenot
28 juin 2000

Distribution

 

Chorégraphie Yann Lheureux

Improvisation avec
Yann Lheureux
Sandrine Maisonneuve.

24 juin 2000, Uzès

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