Temps arrêté, délicatement suspendu, à la façon des estampes japonaises.
Céline Lapeyre danse le mouvement de ce « monde flottant », l’Ukiyo-e, recomposé subtilement autour des peintures de Jérôme Bosch, Bacon et Picasso. L’air de rien, elle les visite dans des trajectoires qui sont autant de méditations sur les corps, et autant de fenêtres ouvertes entre l’âme et l’animalité de l’humain.

Déclinées en des collages picturaux, Céline Lapeyre a l’élégance de ne pas nous raconter d’histoires.
Les flux du mouvement sont habilement composés autour d’une scénographie aérienne et musicale, sous la lumière intemporelle d’Arno Veyrat. Et la bande son, savamment construite, traverse notre temps agité et contradictoire. Allez, posons-nous un peu, cessons de combler notre existence par cette terrifiante efficacité futile, et laissons venir ces moments de grâce où le temps se fixe un instant à la façon de la palette du peintre laissée en attente, dans sa pâte malléable, jusqu’au lendemain.

Ces peintres, elle les convoque en des compositions chorégraphiques. Le passage est subtil entre la liberté des formes et des couleurs de la toile, et la créativité de la danse qui les reprend à son compte. Céline Lapeyre ne reproduit pas les représentations picturales, elle leur donne chair et rythme. Elle en prolonge le temps. Les minuscules personnages de Bosch ou les regards divergents des portraits de Picasso, trouvent leur sens dans le corps en mouvement. C’est ainsi que les regards adressés changent constamment de direction, alors que l’axe de la danse est dirigé ailleurs.

«Si on peut le dire, pourquoi le peindre ?», disait Francis Bacon. Et si l’on peut le danser pourquoi le dire ?
La danse de Céline Lapeyre n’a pas besoin d’explications développées parce qu’elle réussit ce paradoxe de faire naître le mouvement aérien sur les deux pieds ancrés dans le sol ; la terre évoquant simultanément l’enracinement et l’envolée, l’empreinte dans la matière et l’évanescence, le poids et l’élévation, la verticalité et le basculement… Autant de déclinaisons que Céline Lapeyre brode en finesse sans jamais insister sur la forme, pour laisser libre cours au fantastique, l’une des caractéristiques de l’estampe japonaise.
Sa danse fixe, en effet, des impressions fugitives à la manière de la peinture impressionniste de Monet, influencé justement par l’«Ukiyo-e» japonais.

Elle habite le temps et travaille sur la lenteur. Céline Lapeyre construit de ce fait une danse limpide.
« Elle plaçait son éventail de façon à ce qu’il pût le prendre » (Stendhal). Le spectateur pourrait ainsi recevoir le mouvement qui lui est destiné, et, s’il accepte de se laisser guider jusqu’à la transformation des formes, alors, il aura été touché par ces moments de grâce poétique.

 

Michel Vincenot
8 janvier 2008

Distribution

 

Chorégraphie et interprétation Céline Lapeyre

Recherche machinerie François Derobert et Guillaume Letselu

Régie générale Martin Barré

Création lumière Arno Veyrat

Suivi aérien Véronique Gougat

Regards extérieurs Christine Lenthéric, Marlène Rostaing et François Lebas

 

Collectif Petit Travers

Création 7 janvier 2008
Scène Espaces Pluriels – Pau

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