Au-delà de la blessure, les signes – Michel Vincenot

Au-delà de la blessure, les signes – Michel Vincenot

La Danse, expression ultime de l’esprit, est parfois impitoyable pour le corps.
Les danseurs qui ont fait la douloureuse expérience de la blessure sont marqués profondément dans leur corps, au point qu’il leur semble avoir perdu les mots, la mémoire, et parfois toute raison d’exister.

Le temps de la reconstruction est alors une longue traversée où l’on doit, par instinct de survie peut-être, chercher des chemins que l’on n’avait jamais explorés. « Quand le corps est pitoyable, dit Daniel Dobbels, il est en même temps traversé par des forces infinies. »
Et c’est au centre de ce corps meurtri que l’on va puiser ces forces pour y retrouver l’origine de la vie, de l’amour, de l’énergie. Le « thumos », comme l’appelaient les Grecs, ce point central du corps, situé sous le sternum, qui rassemble le cœur et la raison, mais aussi la passion du surgissement et du recommencement.

Ainsi, le plus petit geste devient le moteur de tout le mouvement. Rudolf Laban parlait du « florilège des petits gestes qui font la danse collective ». En effet, les petits gestes écrivent et réécrivent sans cesse les trouvailles du corps et nourrissent la créativité des interprètes reliés par la danse, et qui, eux-mêmes, relient la danse à « ce partenaire invisible » dont parlait Mary Wigman.

Ces signes, si minuscules soient-ils, renouent avec le frémissement de l’air presque imperceptible. À son contact, les doigts captent la plus petite vibration d’un flux invisible qui traverse le corps tout entier, de haut en bas, du ciel jusqu’aux appuis au sol ; deux des trois dimensions de l’espace de la danse. La troisième dimension – l’amplitude du mouvement devant, derrière et sur les côtés – est déjà préfigurée par les doigts qui cherchent à renouer avec le microcosme de l’intimité dans l’espace de l’immensité. Ils diffusent progressivement au corps un fluide qui l’envahit de clarté. C’est à ce moment que le sens advient.

Danseuse fine et subtile, Loren Coquillat intériorise tous ces états, comme si sa chair était à nouveau pétrie par le temps de la naissance. La renaissance des sensations perdues, et l’ouverture du corps dans toutes ses dimensions. À cet égard, la composition des doigts et des mains augurent ce que seront les retrouvailles avec son corps redevenu totalement spatial. Dissociation du regard et des gestes, directions opposées, rythmes syncopés et contrepoints qui font écho à un espace auparavant vide, et qui devient soudain habité du vivant.

Quand la jonction des doigts s’opère les yeux fermés, c’est le geste qui découvre l’espace du corps dans ses limites extrêmes. Quand le regard est dirigé dans une autre direction et que les doigts se rejoignent hors du volume du corps, c’est l’espace qui s’agrandit.

Et enfin quand le geste tout petit finit par générer deux mouvements dans des directions opposées, le haut et le bas par exemple, on est là au cœur du défi de la danse : dire dans le même temps deux directions inconciliables parce qu’elles sont contraires. Seule la danse peut les réconcilier contre toute rationalité. C’est le propre de l’être humain de combiner les registres variés de l’imaginaire, tel que le définissaient Gaston Bachelard et Gilbert Durand.

Loren transmet alors avec force et douceur autant de déclinaisons possibles, du petit geste au grand mouvement, du geste lent au mouvement rapide, qui ouvrent son corps, devenu immense, à une dimension universelle. Celle de la rencontre du temps, de l’espace et de la chair blessée ; celle de l’harmonie du corps d’aujourd’hui et du corps de demain.

La sagesse en quelque sorte.

Michel Vincenot
31 mai 2016

Distribution

 

Chorégraphie Michel Vincenot

Danse Loren Coquillat

 

Photographie Michel Vincenot