Germen et soma, la Commanderie – Pascale Houbin

Ils ont été des centaines à s’arrêter dans ce lieu, par hasard ou par épuisement. Une halte sur les chemins de Saint-Jacques. Pour se reposer, pour se soigner ou pour y mourir.

Hautement symbolique, le refuge de ces marcheurs silencieux ne pouvait échapper au regard attentif de Pascale Houbin. Aussi, a-t-elle souhaité associer le silence de ceux qui communiquent sans bruit par la langue des signes au silence recueilli des spectateurs d’un jour qui sont invités là, pour un moment à part, ne serait-ce qu’une heure dans leur vie.

Parce que, tout simplement, une telle rencontre en cette habitation de fortune trouve dans la danse de Pascale un écho charnel à la pierre, mais aussi une réponse paradoxale aux agitations de la vie.

Cette vie-là, elle la prend à pleines mains et la restitue avec générosité aux autres, ceux dont les mots sont quelquefois bavards et les corps maltraités. Mais elle donne aussi la vie avec les mains d’une autre. Elle s’appelle Valérie, elle est sourde et dansera le final de la Commanderie en duo avec elle.

Toutes les deux viennent inscrire leurs signes d’échange sur la pierre des passagers de l’éphémère, seulement quelques siècles après.

Michel Vincenot
Février 1997

Distribution

 

Chorégraphie Pascale Houbin

 

Danse :

Pascale Houbin

Valérie Guyot

 

Montage musical Jean-Jacques Palix

 

Lumières Pascale Houbin

 

Musiques

Padam Edith Piaf, J’adore Olivier Agid, Besame mucho Consuelo Velasquez, le P’tit bal Bourvil, On s’aimera Léo Ferré, Mon p’tit loup Pierre perret, Le dessert Jean-Jacques Palix, Bata Jean-Jacques Palix, Jolie môme Juliette Greco, L’homme Jean-Jacques Palix, Avec le temps Léo Ferré, la marche Jean-Jacques Palix et David Coulter

Accordéon  Malik Nahassia

Germen et soma – Pascale Houbin

Elle répète ses solos dans son garage de banlieue parisienne et ne rechigne pas à montrer, à qui veut bien la voir, la danse qu’elle y peaufine. Elle est simple, elle est belle, elle est émouvante, Pascale Houbin. Elle a appris de la langue des signes l’exigence du langage ; les doigts qui impriment au corps ce que la danse sait dire.

Elle raconte – le sourire au coin des yeux – que ses mains aiment extraire la chair des mots, tout comme le font les sourds qui se parlent. Elle sait aussi que le monde du silence peut réécrire le langage du corps.  Alors son regard devient lumineux. Pascale Houbin porte sur nous une jolie tendresse, quand, à la fin d’une chanson de Léo Ferré, elle se love sur elle-même. Ses mains ont le pouvoir magique de ramasser tout son corps à la fois, un corps dépouillé, fragile de l’attente qui nous met en éveil.

Si l’on doute encore que la danse contemporaine puisse nous mener jusqu’ à l’expression aussi pure, alors il faut venir voir Pascale Houbin. Germen comme les chemins de l’amour, Soma comme les intempéries de la vie, elle brode du bout de ses doigts le silence des voix qui se sont tues.

Douze solos s’enchaînent et laissent au terme du trajet le souvenir d’un plaisir raffiné.

 

Michel Vincenot
Février 1997

Distribution

 

Chorégraphie et interprétation Pascale Houbin

Si j’étais toi – Hélène Cathala / Fabrice Ramalingom

Si j’étais toi est tout un symbole. Celui qui se préoccupe de l’autre est le partenaire auquel il faut transmettre le meilleur de soi-même. Au point que la pièce se construit autour d’une harmonie d’un homme et d’une femme, et du groupe ensuite, comme si l’échange était devenu naturel. Du coup, il devient difficile de trouver les mots justes, parce qu’on est là au seuil où les mots se taisent pour laisser place à la danse.

Cette danse-là est une attente, un accueil, une invitation à chercher ensemble les phrasés du mouvement. La fluidité qui porte une attention particulière à l’autre, les pieds croisés, les balancés des hanches qui  prolongent dans les bras une ligne parfaite adressée au partenaire respectueux. Et au bout du bras, le doigt qui effleure… l’autre, l’amant, l’amoureux joliment discret et disponible.

Au fond, c’est plus dans le qualificatif que dans l’action qu’il faut chercher la force d’Hélène Cathala et de Fabrice Ramalingom. Ils ont trouvé, à cet égard, un maître : Dominique Bagouet. Même si – et il fallait s’y attendre – les deux chorégraphes ont su inventer leur style, le point de non-retour qui signe la reconnaissance de danseurs qui sauront enrichir la danse de demain.

Au bout du compte, regardez cette danse, il en restera sûrement la trace profonde d’un  beau moment de poésie. Une présence de l’amour tel qu’on voudrait l’imaginer, y compris dans ses limites nécessaires .

 

Michel Vincenot
15 Février 1997

Distribution

 

Chorégraphie Hélène Cathala / Fabrice Ramalingom

 

Danseurs :

Hélène Cathala

Fabrice Ramalingom

I fang Lin

Carine Gori

Laurent Pichaud

Olivier Clargé

 

Musique Francine Ferrer / Sophia Gudaidulina

 

Scénographie et lumières Maryse Gautier

 

Danses à dormir debout – Christiane Blaise

Danses à dormir debout – Christiane Blaise

Elle vient tout droit du grenier de la maison, Christiane Blaise. Entre le ciel et la terre, là où le temps s’est arrêté entre hier et demain.

De l’immuable fixité, elle extrait le mouvement, comme seuls les poètes savent le faire. Si l’on n’oublie jamais que les Grecs nous ont légué la poésie comme « acte créateur » par excellence, alors ces Danses à dormir debout sont une création qui va droit au cœur et à l’intelligence. Entre le souvenir d’une grand-mère et la mutation d’un enfant vers la vie, Christiane Blaise arrête le temps et repousse les limites de l’espace. Puis elle les reconstruit ensemble. Ou plutôt elle refait l’espace à partir du temps, lieux de l’habitation de l’humain par excellence.

L’animal ne se retourne jamais sur la mue qu’il abandonne derrière lui. L’homme qui se défait de ses carapaces regarde toujours d’où il vient. La confrontation entre hier et demain est l’exigence créatrice qu’il offre à ses semblables pour se rendre disponible, maintenant, tout de suite. C’est l’essence-même de l’événement.

Et pour autant, Christiane Blaise ne complique pas les choses. Par le bonheur d’une écriture limpide, elle nous transporte de solo en duo, puis de duo en trio qui effleure au passage un quartet de danseurs. Passage, en vérité, qui nous emmène vers une danse où cinq personnages refont à leur manière la fête qui pourrait célébrer l’arrivée de la pluie sur une terre desséchée. Une danse frappée au sol, un carnaval, un délire festif pour cinq danseurs de haut niveau.

Mais stop. Revenons un instant en arrière. Un enchaînement de solo, duo, trio, quintet, se déploie comme si l’homme avait le pouvoir inné d’une propension à l’espace, et le désir d’habiter le temps, en toute fluidité. C’est l’immobilité qui déclenche le geste : la main entraîne le bras, le bras fait suivre le bassin, puis les jambes et les pieds. Tout le corps est à l’écoute d’une harmonie naturelle de la danse. Le mouvement s’élabore ainsi à partir de la précédente impulsion, intelligemment dirigée vers une énergie qui renouvelle le corps et la pensée. Le mouvement devient alors de la danse, reliée au mystère de l’élévation, contre la gravité. Le bras se glisse sous la jambe, sous le pied, et toute pesanteur s’efface. L’aisance autorise désormais le jeu de l’enfant qui prend plaisir à s’enrouler au sol, et à s’en extraire aussi vite ; à jouer à chat perché avec la terre, suspendue à ce fil invisible qui la relie au ciel.

Propension, disions-nous. De la solitude de l’homme à la dualité animale. Pour faire peau neuve, il faudra sans doute chercher dans la panthère le mouvement le plus noble, au service d’une humanité qui rêve d’un mariage entre l’homme et le félin. Ce magnifique duo nous porte jusqu’au seuil d’une étrange liberté que franchissent les adolescents, perturbateurs des règles établies. Mais le chemin des humains traverse justement tous les seuils, intégrant au passage la noblesse animale, pour laisser à l’homme la mémoire d’une parole sans cesse en mouvement.

 

Michel Vincenot
26 Octobre 1996

Distribution

 

Chorégraphie Christiane Blaise

 

Danseurs

Alfred Alerte

Séverine Allarousse

Didier Gilabert

Sandrine Maisonneuve

Laurence Mandrille

 

Musique Ghédalia Tazartes

 

Scénographie et décor Jean-Pierre Vergier

 

Lumières Hervé Bontemps

Zig-zag – Olivia Grandville

Trois petites pièces en zig-zag, sous forme de points d’interrogation. Sans lien apparent les unes avec les autres. Ou, au contraire, elles sont intimement reliées les unes aux autres, tant la danse d’Olivia Grandville est représentative des arts contemporains, et bien évidemment de la danse d’aujourd’hui qui ne peut dire les choses jusqu’au bout, par impuissance honnête à combler les attentes de nos voisins de vie.

Olivia Grandville, pose son regard serein sur ce monde.  Des bribes, des tentatives lucides qui sont à la danse contemporaine ce que la parole fragmentaire est à notre existence de cette fin de siècle. Elle ose donc en toute tranquillité chorégraphier ces trois pièces, dont la première pour six danseurs «Ad libitum», cherche la danse sur une musique devenue silencieuse ! Gageure ? Certainement pas. Plutôt un sens aigu de la réalité. Cette chorégraphe d’expérience fait danser ses interprètes, chacun à sa guise, ad libitum, sans chercher la complicité facile.

C’est donc l’écho des autres qui va mener le plus loin possible la recherche de l’expression au plus près des corps ; d’un espace qu’il faut redécouvrir pour se parler à nouveau ; d’un mouvement qui vient en-deçà du geste, jusqu’à ce que l’exigence du sens s’écrive.  Chacun à sa guise construit la danse qui devient la danse des autres. Mais pas n’importe comment et n’importe où, par transmission de l’un à l’autre, et non par mimétisme.

Olivia Grandville a horreur des ensembles esthétiques. Elle refuse l’uniformité. Ses danseurs cherchent la justesse jusqu’au bout de leurs doigts, jusqu’au cœur du silence, lorsque tout a été tenté. Le but de l’art n’est-il pas justement de mener au silence ?
Alors ? Mais alors quoi ? Où est le spectacle ?

Surtout pas où on l’attend. Olivia Grandville n’a pas l’intention de nous bercer de douces illusions. Elle ouvre grands nos yeux sur ces passages nécessaires qui grandissent l’homme, dès lors que les verbiages se sont tus. Alors c’est la musique des corps que l’on entend, et si l’on osait dire : «la musique du mouvement» ennobli à l’état de respiration des corps, sans concéder aucune complaisance.

Et c’est ainsi qu’elle reprend le fil de ses danseurs. En duo, elle explore cette fois-ci tout le corps musical «Une drôle d’histoire dans les tuyaux» qui mène le geste jusqu’à l’extrême du possible pour en livrer l’expression la plus complète.  «Un duo sentimental, dit-elle, impudique et hasardeux du genre qui se balance des interrogations conceptuelles et se livre sans détour à l’immédiateté du geste.» Provocation des mots, perfection d’une danse élaborée qui explore tous les possibles du corps et de l’espace, sous le regard attentif et sous les doigts de Sirène Pimpon aux claviers.

Olivia est une grande joueuse. Le «Capharnaüm» qui termine ce parcours en zig-zag démonte pièce par pièce le puzzle des choses qui nous sont quotidiennes. Perdus dans ce bric-à-brac, les danseurs reconstruisent en même temps que la danse les lieux coutumiers de la vie : la lecture, la musique, le rythme, le repos. Refaire à la fois le décor et réécrire le mouvement de la danse est le petit clin d’œil ludique d’Olivia Grandville. Elle reconstruit la vie à la façon de l’enfant qui apprend le monde de la découverte, de l’écoute, du temps et de l’imagination. Le monde des autres en quelque sorte.

 

Michel Vincenot
12 Octobre 1996

Distribution
1. Ad Libitum

Chorégraphie Olivia Grandville

Partition Kasper T. Toeplitz

Danseurs : Magali Caillet, Frédéric Gies, Olivia Grandville, Dominique Grimonprez, Annabelle Pulcini, Pascal Queneau

2. Duodenum

Danseuse Olivia Grandville

Assistante Viviane Séry

Claviers Sirène Pimpon

 

3. Capharnaüm

Musique Woudi

Conception Olivia Grandville

Assistante Viviane Séry

Chorégraphie et interprétation : Magali Caillet, Frédéric Gies, Dominique Grimonprez, Annabelle Pulcini, Pascal Queneau

 

Accessoires décor Michel Vanspeybroeck

 

Lumière Marie Vincent

 

Son Francis Maillé

 

Costumes Anne Deschaintres