Le trésor se trouve au creux de l’être comme une somme de petits joyaux qui le font naître. Mais l’or de l’alchimiste ne surgit pas dans la précipitation.

Sous le regard précis de Guillemette Grobon, le solo de Michèle Rust est un fragment de vie qui rassemble à lui seul toutes les réminiscences d’une trajectoire entre hier et maintenant. Mais aujourd’hui, c’est un éclat dans la nuit qui vient là, simplement, qui renoue avec le corps, traversé par de fines enluminures, en écrivant l’immensité de l’espace dans l’intimité de l’humain.

De haut en bas, le corps a gardé la mémoire d’une aventure passée qui échange son expérience avec le temps présent. Chacun de nous est une personne différente, autre, dans les étapes successives de la vie. Et le danseur appartient à l’universel quand il rencontre les chemins de l’altérité. L’autre, ce «partenaire invisible», dont parlait Mary Wigman, est un écho du mouvement généré par le corps du danseur. Et Michèle Rust, à sa manière, cherche une résonance entre des bras étendus au sol pour s’imprégner de la matière, et des jambes qui s’ouvriront plus tard dans les mêmes directions pour y stabiliser les assises du corps. Du sol tactile au sol des appuis, émerge la verticalité, puis la hauteur, puis l’épaisseur… dans l’infinitude de l’espace qui prolonge, presque naturellement, les territoires du corps. Strates successives qui réhabilitent le temps comme un constituant de l’être humain.

Ces territoires sont donc le lieu d’une exploration. La main au sol devient l’instrument de l’écoute et l’oreille celui de la perception du haut. Etonnant glissement de sens dans les fonctions corporelles que, vraisemblablement, seule la danse peut mettre en évidence. Et du même coup, elle change le rapport au temps et la perception de l’espace. Elle installe une relation étroite entre le proche et le lointain, entre ici et ailleurs, entre hier et aujourd’hui. Envelopper une jambe dans les bras, sur l’appui de l’autre jambe, corps lové, est une synthèse qui appartient à l’imaginaire, pas à la physique des corps. Un tel agencement parle à la fois de l’enfance et de la stabilité de l’adulte. Dire deux choses radicalement différentes en un seul mouvement est un mystère qui appartient à la danse.

Ainsi, au fil de la pièce, s’agence le solo de Michèle Rust. Elle déroule des situations de plus en plus fines et complexes, tout en revisitant, l’air de rien, la même gestuelle, le même mouvement, enrichis, cette fois-ci, de l’expérience du temps ; ouverture à la quiétude assumée jusqu’au bout des vibrations de la peau.

Les mains à l’extrémité des bras prennent alors une sérieuse importance. Entre la perception du matériau solide (les frottés, les appuis, les effleurements du sol) et les explorations des doigts comme une caresse aérienne, Michèle Rust trace, à la façon du peintre, un lien presque invisible entre l’air et la terre, entre l’éphémère et la stabilité. De lenteurs en accélérations, le mouvement du corps est à l’écoute du moindre détail, ouvrant même à une sorte de méditation à travers les lucarnes de l’invisible. La danse se trouve alors projetée au travers de la trame, «cette opacité du corps» dont Daniel Dobbels parle avec justesse. La danse, en effet, commence dans l’absence de clarté. Et, à cet égard, la lumière de Sylvie Garot en souligne avec intelligence tantôt la fragilité, tantôt le réalisme brut ; allant même jusqu’à réchauffer de lumière un sol déjà incandescent. Corps aveuglé par son propre mystère.

Mystère d’un être multiple où les enroulés de bras transmettent l’énergie jusqu’aux pieds. On est alors tendu entre trois directions : le haut, le bas et l’extérieur vers lequel le regard nous entraîne. On cherche à droite, on explore à gauche, on visite le haut, tout en gardant présent au sol -comme une conscience irréductible- le poids du corps qui nous relie à l’histoire, la nôtre et celles des autres.

Finalement, tous ces ingrédients agencent l’espace dans son rapport au temps, de la même façon que l’on tisse les fils d’une étoffe après les avoir cardés. Le corps est ainsi traversé par la sensualité de l’enfance, la délicatesse du souvenir et la réalité du temps. Entre la petite poupée de faïence et la mutation de la chair, il y a le mouvement ondulatoire du bassin, des membres et de la respiration qui égrène les notes de musique et les fait scintiller. Et si -mains dans le dos-, le geste revient à la mémoire, c’est pour rechercher dans l’avant ce qui met l’après en mouvement. Les jambes s’échappent du corps comme les traits d’un dessin. Le pied en suspension amorce un cercle avant de fixer sur le sol la projection du corps en mouvement. Le dos de la main effleure la terre pour apprivoiser à nouveau la matière-première de l’humain. Les pieds basculent sur les talons pour défier la gravité. Et, paradoxalement, c’est la courbure ou le plié du corps qui projettent dans l’espace du haut une extension d’un corps grandi. Au fond, le rythme se transforme en une déambulation. Le corps redevient le lieu du temps qui déroule l’être dans une élégante sensualité.

Et pour que rien ne soit oublié, Michèle Rust, proche par moments de la danse indienne, engage le mouvement jusqu’au bout, afin d’ouvrir tous les passages qui ont imprimé les chemins de jeunesse et qui augurent aujourd’hui d’une belle maturité. De l’hésitation à la stabilité, de la fougue à la quiétude, pour qu’il soit dit une fois pour toutes que la danse chemine au travers du corps dans tous ses états. La beauté, c’est quand une expression surgit d’une force indéfinissable.

Corps d’hier et corps d’aujourd’hui, traversés par les strates de l’espace et du temps. La danse convoque ici de multiples clartés. Des éclats de mains, de jambes, de tête qui brillent comme un cadeau venu du ciel.

 

Michel Vincenot
6 novembre 2000

Distribution

 

Conception

Guillemette Grobon et Michèle Rust

 

Chorégraphie et interprétation Michèle Rust

 

Musique Olivier Angele et marc Chalosse

 

Scénographie Françoise Arnaud

 

Costume Dominique Fabrègue

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