L’improvisation de la danse – Michel Vincenot

Si la danse venait à disparaître,    
le geste improvisé serait la dernière liberté du corps,
avec l’amour.

 

 

L’improvisation est un exercice des plus difficiles parce qu’il y est question d’attente et de mises en demeure du corps qui conduisent le danseur ou la danseuse à confronter son intimité à d’autres intimités de corps : celles des autres danseurs. Chacun des improvisants doit tour à tour se rendre disponible à l’étrangeté qui bouleverse le cours de l’imaginaire, voire même la structuration de son propre corps : la particularité que chacun des corps sait exprimer de façon spontanée. Les habitudes, les techniques dans lesquelles chacun excelle sont à la fois le point de départ de la danse contemporaine et l’exigence que l’improvisation de la danse impose au corps, car il faut être intensément présent à l’instant.

L’improvisation est donc une mise en éveil constante, un abandon momentané de mon propre «savoir» au bénéfice de sollicitations – tendues jusqu’à l’extrême limite de la peau – par lesquelles «les autres» danseurs m’interpellent. Mais en même temps chaque danseur doit protéger son langage de corps singulier. Car, en fin de compte, l’improvisation cherche de nouvelles sources qui renouvellent le corps et la pensée en préservant à tout instant l’être du corps, sa signature, son identité personnelle.

L’improvisation serait alors « la découverte d’un geste inouï » (Hubert Godard) ! Étonnant glissement de langage. Et ça n’est pas un hasard si le geste est assimilé aux fonctions de « l’écoute ». L’ouïe, l’oreille emplit l’espace autour du corps et réagit aux moindres signes d’une autre présence. C’est là un enjeu essentiel de la danse : chercher dans les situations et les gestes de « l’autre » des invitations inhabituelles qui mettront le corps du danseur en mouvement. Mouvement extrêmement complexe parce que différentes consciences de la réalité du corps entrent en symbiose.

Imaginons, par exemple, qu’un danseur improvise seul, dans l’intimité de son studio. Cet acte ne pourrait en aucun cas se faire devant le miroir, trop flatteur des esthétiques dans lesquelles chacun se complaît. Même seul, le danseur peut improviser, c’est vrai, mais toujours face à « ce partenaire invisible » dont parle Mary Wigman. Un vis-à-vis avec ce qui respire ailleurs, sous d’autres architectures corporelles, sous d’autres cultures et d’autres pensées.

«Échauffer» le corps de l’imaginaire

« Échauffement de l’imaginaire du corps », cité par Patricia Kuypers. À l’image de l’échauffement du corps, nécessaire à la préparation du danseur, je préfère parler de « l’échauffement du corps de l’imaginaire », comme si celui-ci rassemblait diverses sources d’un tout, articulées en un corps vivant et pensant. Le mouvement peut naître, en effet, de ces composants abstraits (l’imaginaire), de la même façon que la parole peut surgir du geste qui l’a précédée, selon Gaston Bachelard et Gilbert Durand.

Une des conditions d’approche de l’improvisation est « l’échauffement » qui prépare les muscles et l’ossature, c’est entendu. Mais plus fondamentalement, l’échauffement met au second plan les acquis paresseux auxquels chacun fait appel pour « s’en tirer au mieux ». Le corps doit renaître du point zéro. Et si l’espace environnant change, les gestes du danseur se transforment avec lui.
L’échauffement a donc quelque chose à voir avec l’espace étranger qui s’introduit dans l’interstice entre mon « corps d’expériences » (l’histoire) et « l’être du corps » (en devenir),  par l’intermédiaire du mouvement naissant. Mais a priori, l’espace est sans limite, c’est-à-dire sans intention réductrice de ramener la danse aux techniques habituelles du danseur. L’espace est au-delà de … mais aussi en-deça de … Et c’est par l’en-deça qu’il faut commencer.

La première respiration du nouveau-né est brutalement confrontée à l’espace immensément inconnu d’un monde qui n’était pas le sien. L’histoire humaine est en marche. L’homme va inéluctablement vers la mort. Mais dès la naissance, la mort est déjà en-deça et pas seulement à la fin, comme un retour à « la conception d’un arrière-monde » pour reprendre dans un autre contexte l’expression de Nietzsche. À la fin du corps, il y a la mort, certes, mais il y a essentiellement ce par quoi les êtres se rendent disponibles aux limites des autres corps, grandissant ainsi indéfiniment l’espace imaginaire de l’homme dans sa globalité. Le danseur Teshigawara dit : « Il s’agit de rendre perméables ses propres limites à celles des autres.» C’est une belle approche symbolique de l’au-delà des frontières, pressenti comme une continuité de l’en-deça : corps reliés entre eux à l’infini… Mais ce pressentiment nous rappelle en même temps que nous sommes de simples passagers de la vie. « L’interstice », cette petite brèche infime par laquelle on entre dans l’imaginaire des autres, est donc ce par quoi de nouvelles perceptions du monde changent notre vision des choses. Et si la perception change, les informations que le danseur reçoit changent avec elle. Récoltés au-delà de l’espace corporel, ces nouveaux messages sont, a priori, dépourvus de sens. Ainsi le danseur a-t-il une autre vision quand il travaille au sol : l’espace « du haut » prend une toute autre importance. De la même façon, « la vison périphérique ouvre une multitude de points de vue, d’axes de perception que la vision trop focalisée occulte. Le va-et-vient entre une vision focalisée et une vision périphérique ouvre un espace d’échanges dynamiques » (Patricia Kuypers).

Ces instants de l’espace perçus dans leurs qualités spécifiques sont les événements de l’improvisation. Ainsi le mouvement prend-il une toute autre consistance charnelle : le danseur est interpellé par l’espace « des autres » parce que l’espace environnant a changé sa vision des choses. La perception qui vient juste après l’échauffement met le corps en état d’intensité, en état d’éveil aigu : la présence. Tandis que le mouvement qui vient du plus loin dans le corps – y compris dans le corps des autres – impulse le geste précis, dirigé vers l’intérieur de mon propre corps ou vers celui des autres. « Une écoute du corps par le corps lui-même » dit Laurence Louppe. Il se trouve que, à ce moment préalable de l’échauffement, le danseur entre dans l’espace de « cet autre » avec son accord tacite, alors que « l’autre » n’avait, jusqu’alors à ses yeux, aucune existence différenciée.

Le contact peut alors s’établir, précis, adressé au corps des autres partenaires. Le toucher est l’extension de mon espace corporel aux formes spatiales de l’autre. C’est sans doute pour cela que la danse est adressée à tous, dès lors que le spectateur ou l’observateur peut à son tour y pénétrer, par l’interstice de « l’entre-deux » des danseurs ; visiter la brèche pour s’y émerveiller à son tour. Le prolongement du corps en mouvement destiné à l’imaginaire des autres devient largement universel. « C’est toute la matière de l’être qui devient langage. », dit L. Louppe. L’improvisation devient alors clarté par le jeu du rythme et du repos, par l’énergie qui développe ou qui retient l’attention vers une altérité si peu quotidienne.

L’échauffement est le préalable de l’improvisation. Et l’improvisation est le façonnage d’un nouveau vocabulaire que le corps investit depuis l’intérieur de son imaginaire. Viendra plus tard la syntaxe qui constituera l’écriture de la danse, à moins que la présence de l’autre ne soit si prégnante qu’elle n’entraîne une danse naturellement écrite au moment-même où elle est improvisée. Laurence Louppe parle « d’écriture instantanée, ce par quoi les relations fugitives se construisent et se déconstruisent immédiatement », comme une nécessité vitale. Tandis que les interprètes de Julyen Hamilton ou Steve Paxton improvisent comme si la danse avait été, de tous temps, écrite pour eux. Ce que Trisha Brown appelle les improvisations structurées.

L’espace du non-sens

En-soi, l’espace n’a pas de sens. Il est simplement potentiellement préhensile par les intentions qu’on va y projeter, ou la façon dont on va le structurer. L’espace n’est que la chambre d’écho d’informations confuses, voire contradictoires, que seul le corps est capable d’interpréter. La mise en œuvre de l’improvisation requiert une attention précise à ces signaux : les sons, les couleurs, l’odorat, les formes … ici et maintenant, comme une perception du temps inséparable de l’espace. Des signaux concrets que le danseur perçoit de façon directe ou indirecte et qu’il intègre après les avoir déconstruits à travers les couches successives du corps… jusqu’à la pensée. Les sensations qu’il en ressent sont déjà des interprétations. Et, partant de là, les façons de jouer, de rythmer, de respirer ou de laisser surgir l’énergie sont une reconstruction de l’espace à un stade beaucoup plus avancé, radicalement différent de la perception initiale. L’espace a changé de sens parce que le corps se l’est approprié sous d’autres formes. Celles-ci lui appartiennent. Elles sont sa marque, sa singularité. Le corps a une façon particulière d’intégrer le cosmique qui appartient à tous. Désormais, il faudra donc durer dans la construction du langage, mais aussi savoir conclure au bon moment. Les matériaux engrangés ne sont pas inépuisables. C’est une des plus grandes difficultés de l’improvisation.

C’est pourquoi, après l’étape de la perception, le danseur entre dans « la composition » par laquelle s’organise le sens de l’espace, c’est-à-dire le sens du corps qui y commet un engagement. Espace et corps sont alors liés par le même facteur : le temps. Le temps de se poser, de partir dans une accélération ou dans une autre direction … le temps d’anticiper « la suspension » d’un geste qui mettra en œuvre l’imaginaire du voisin ; geste qui introduit à son tour l’attention précise aux autres. Donc une possibilité de transmission aux partenaires.

L’improvisation est à cet égard une élaboration complexe qui peut transmettre un langage des plus banals ou des plus poétiques. Exactement de la même façon qu’il ne suffit pas de disposer d’un vocabulaire abondant si l’on est incapable d’en organiser la syntaxe. C’est bien la composition qui fertilise l’espace comme possible lieu du sens corporel. Ce sans quoi, l’improvisation n’est que mimétisme. Et mimer n’est pas danser. Pas plus que danser ne consiste à mettre en avant les performances du corps. Il ne s’agit pas de montrer un savoir-faire mais d’être disponible à une possibilité d’être. Vient alors l’urgence de l’humilité qui réduit le corps à son propre poids, soumis à l’attraction terrestre.

Du corps massif au corps liquide

Le poids s’apparente à quelque chose qui est de l’ordre du « concentré ». Concentré des forces et des énergies ramassées qui font appel à la densité des composants corporels. Ils se retrouvent soudés entre eux, solidaires. On sait que l’architecture du corps répartit les forces aux meilleurs endroits du poids. De là peut surgir la pensée, dès lors que le mouvement est mené jusqu’au bout, et qu’il laisse ouverte toute possibilité d’imaginer d’autres univers encore inconnus.

Les éléments apparemment disparates entre la densité du corps et le surgissement de la pensée ont un point commun : la concentration. Car le poids du corps au sol, puis, à l’inverse, le poids venu du sol transforme le corps massif en corps aérien. C’est l’apparition du sourire, par exemple, à la fois sensible parce qu’il prend naissance dans les mécanismes des muscles du visage, et mystérieux parce que son origine échappe au musculaire : l’émotion, les sentiments, les intentions. Ces trois abstractions projettent dans l’espace un lien immatériel que chaque corps reçoit comme proposition inattendue. Elles mettent les corps en état d’alerte, voire en état de trouble. On pourrait dire « les qualités des propositions et de mouvements », puisque les danseurs emploient volontiers cette terminologie.

S’il y a proposant, il doit y avoir réceptacle. De mon corps à celui de l’autre, et inversement. La proposition est donc énoncée. Le poids, étape de la construction du langage improvisé, opère comme une force de résistance ou une force d’attraction, comme si l’une pouvait se déverser en l’autre, montrant l’évidence du transfert possible des forces de mon corps vers celui d’un autre corps. « Le plein et le vide », vases communicants par lesquels le poids de mon corps se déverse en maintenant l’appui sur l’autre partenaire. C’est une magnifique image de complémentarité entre les êtres qui confirme, s’il en était besoin, que l’élaboration de la pensée ne peut exister que par rapport à l’immanence corporelle de l’autre partenaire. Pensée et immanence sont même interdépendantes l’une de l’autre. Cela remet à leur juste place les prétentions à construire son-monde-à-soi quelles qu’en soient les qualités esthétiques. Cela conforte aussi la belle trouvaille de « l’interprète » que la danse contemporaine a mis au premier plan. L’improvisation de la danse a intégré les chemins du flux dont les autres sont l’origine et en même temps la destination.

Ce flux qui nous relie les uns aux autres est de première importance, car, après tout, sommes-nous sûrs que les limites de notre corps s’arrêtent à l’enveloppe-peau qui le contient ? À en croire l’expérience des danseurs, il y a plutôt à penser que l’espace et le temps reliés entre eux mènent beaucoup plus loin notre propre sphère corporelle. Il y a extension du geste, si minime soit-il, au-delà même des corps que la vision perçoit. Comme si le regard pouvait traverser les autres corps, devenus translucides. La danseuse Patricia Guannel dit volontiers que « le corps a des yeux partout, devant, derrière, dans le dos, dessus, dessous…». Il faudrait ajouter à cela que le corps se laisse traverser par de multiples regards dont on ignore l’origine et les directions. Nous touchons ici à la pertinence de la danse. L’art des corps qui dansent transite par des regards complices d’un corps à l’autre. Mais des regards attentifs. Il faudrait donc être prisonnier d’un ego hypertrophié ou faire preuve de mauvaise volonté pour rater le rendez-vous de l’improvisation.

La disparition ouvre l’espace à l’autre partenaire

La « disparition », concept utilisé dans l’enseignement de Katie Duck et pratiqué dans les ateliers de Patricia Kuypers, évoque, pour ma part, un rendez-vous. Le rendez-vous, c’est d’abord la conscience de l’absence. Un danseur qui disparaît de l’action doit préparer son départ. Car il peut aussi bien laisser un vide irrémédiable derrière lui ou, au contraire, être suffisamment empreint de l’écoute pour ouvrir l’espace à ceux qui restent. « L’improvisation exige de garder l’empreinte, les  rémanences  de relation. Même dans le fait de partir, il reste le vide de la présence de l’autre. » (Laurence Louppe).

Ouvrir l’espace après avoir légué la meilleure chance au danseur « entrant » pour qu’il y trouve non seulement sa place mais une réelle possibilité d’y exprimer son langage, le sien, particulier, irremplaçable. Le danseur qui part en désertant l’espace laisse derrière lui une terre brûlée,  infécondable. Et sur cette terre, une danse stérilisée par l’abandon. Il faut durer, disions-nous plus haut. Allons plus loin : il faut vivre avec le temps des autres, mais aussi apprécier avec justesse le temps de son propre corps ; ce par quoi il est rythmé et ce par quoi il s’épuise. C’est donc, avant  l’épuisement de son imaginaire que le danseur doit consentir à sortir du plateau. L’interprète qui lui succédera reprendra le chemin où le précédent partenaire s’est arrêté. Mais c’est bien lui, le dernier sorti qui, en acceptant le silence, profitera à nouveau de la matière vivante offerte par le partenaire comme une nouvelle invitation. Les danseurs qui improvisent sont les artisans de la danse, et pas d’autre chose. Ils sont les interprètes d’une inspiration commune et non les acteurs individuels de prouesses démonstratives.

Ainsi le danseur, qui disparaît dans le mouvement d’un autre, écoute jusqu’au bout la proposition de son partenaire, quitte à partir frustré par tout ce qu’il lui « restait à dire ». Mais dans le même temps, le « sortant » contribue à réinvestir de nouvelles situations qui régénèrent la danse et qui servent sa recherche personnelle. Les causes d’enfermement de l’improvisation sont souvent dues à la complaisance. Complaisance dans un événement consensuel : le contact dans une trop grande énergie, par exemple, enferme la danse dans l’opacité. La disparition est le contraire de l’acharnement, tout comme le silence est le contraire de la précipitation. Une improvisation qui intègre ces règles participe à la clarté de la danse. La disparition laisse la trace d’une présence pertinente, donc durable.

L’inverse fonctionne exactement sur le même principe. « Entrer dans un espace que d’autres ont déjà investi nécessite une disparition » (Katie Duck) ; une disparition à soi-même et à la préoccupation « de faire et de faire tout de suite ». L’écoute sera donc cette fois-ci une présence à l’espace, soutenue, comme si le danseur était déjà acteur avant-même qu’il ait généré un mouvement issu de son corps. Les interprètes de Julyen Hamilton ne pénètrent pas dans un espace comme des voleurs. Leur attente silencieuse attend le moment précis où les autres partenaires proposeront une audace : celle d’intégrer dans le jeu l’élément étranger, confiné à la lisière de l’espace. Ce qui revient à dire que le danseur « entrant » devra se mettre dans l’état où tout événement peut se produire pour laisser jouer le corps jusqu’au bout.

Le corps qui ne se soucie plus de sa propre image est déjà un événement. « L’improvisation nécessite une énergie recentrée sur l’espace » (Katie Duck) et non sur ses propres fantasmes. Il faut sans doute faire l’expérience des situations de corps les plus scabreuses pour s’apercevoir que l’énergie (la pensée) n’est plus placée au bon endroit. La conséquence est immédiate : l’énergie des autres s’en trouve perturbée. Et les partenaires peuvent aller jusqu’à l’abandon, pour cause d’incohérence ou tout simplement par découragement. Il faut donc revenir au silence, habiter à nouveau la maison où se trouve le repos ; abandonner ses propres directions, au profit de la construction (la composition) du groupe qui élabore la danse, telle que l’observateur ou le spectateur peut en refaire le parcours. Alors on retrouve le fil, unique, essentiel, qui tient le corps en présence, en état d’accueil créatif.

Mais « l’écoute » n’est qu’un moyen et pas une fin. Plus importante est la transmission de l’immanence dont nous parlions plus haut, et pas seulement la présence à l’autre. Mon corps se délie dans le corps de l’autre. Ainsi peut-il grandir dans un espace multidimensionnel. Le corps devient spontanément ludique. Il se met à jouer avec un autre partenaire, imprévisible celui-là, laissé vacant mais partagé par tous : « l’espace ». Maintenant, seulement maintenant, l’espace peut jouer sur la diversité des sens que le corps veut bien lui donner. Le danseur n’est plus alors un simple instrument d’excellence mais il est lui-même « corps-espace », un corps total se rapprochant toujours plus de toutes sortes de sources imaginaires qui suspendent la respiration devant l’événement qui arrive. Celui-ci, reconnu (j’allais dire fêté) par tous, danseurs ou spectateurs, constitue la danse telle qu’elle doit se proposer comme art. Car, c’est finalement cette destination-là qui est primordiale. Le danseur ne doit jamais l’oublier, y compris et d’abord dans le travail d’improvisation.

La perception : clé de l’improvisation

Après la perception du lointain, la perception de proximité, elle aussi soumise à l’espace, mais cette fois-ci générateur d’un mouvement adressé par l’un ou proposé par l’autre. La réciprocité est ici de première importance. Deux danseurs éloignés dans l’espace peuvent feindre de s’ignorer, ou au contraire communiquer dans une très grande proximité, voire une intimité malgré l’éloignement. Une des expériences que la danse porte en elle surprend le danseur à « partir d’un rien ». La distance qui sépare le danseur d’un autre danseur est si imperceptible que seul un fil de soie pourrait délimiter l’espace de l’un de l’espace de l’autre. Pour autant, il n’y a pas de frontière.
Paradoxalement « le toucher » est le seul moyen d’apprécier cet espace infime qui sépare deux  danseurs – dans un duo par exemple – tout en préservant ce qu’il y a d’unique dans le corps de chacun d’eux. Car si l’espace est proche « devant », le danseur sait pertinemment que l’espace «derrière» lui appartient. Cet espace dorsal a le pouvoir de projeter le mouvement en arrière au moment du contact avec l’autre danseur, ou de se réfugier dans le silence pour y trouver des ressources. Comme une attraction-répulsion (le plein et le vide) qui produit à chaque fois la sensation que le danseur perçoit aussi l’espace qu’il ne voit pas. Laurence Louppe dit à ce propos que « la perception est une ressource qui donne à recevoir, répondre et transformer la relation. Et lorsque la vison est périphérique, elle réactive le proche et le lointain. » C’est là qu’intervient l’écriture chorégraphique.

« Si j’étais toi », pièce bien nommée de Fabrice Ramalingom et d’Hélène Cathala, met le groupe en mouvement à partir d’une perception dorsale que semblent avoir naturellement les danseurs. Ils sont littéralement tirés en arrière, dans le dos, par la danseuse qui les conduit jusqu’au devant de scène, sans qu’ils soient en mesure d’apprécier visuellement à quelle distance se trouve la meneuse du groupe. Ni la vue, ni la force physique n’interviennent, pas plus que le contact des corps. La dynamique de la danse peut alors devenir magique au moment où l’un transmet l’énergie à l’autre de façon invisible. Il a fallu simplement que l’impulsion de départ – antérieure à la construction du groupe – soit donnée par un duo de danseurs en contact, c’est-à-dire par « un toucher » transmis, pour que les autres partenaires de la danse soient mis en situation de confiance et d’écoute. Mais à ce stade, la réalité va bien au-delà de l’écoute. Il y a aussi transmission aux autres d’une force créatrice venue précédemment de ce duo qui s’adresse, au final, à tous les danseurs réunis. Comme si tous avaient accueilli cette force très intime de corps enlacés et qu’ils l’avaient intégrée dans leur propre corps, dispersés dans l’espace.
La force de cette pièce tient dans « le toucher » d’un duo communiqué au groupe des autres danseurs à travers le lointain de l’espace. Une présence est transmise. C’est pour cette raison, et cette raison seulement, que se construit la cohérence du groupe : « Si j’étais toi »… Le regard sur l’action a intégré l’action. Et là intervient la pensée.

Tout simplement parce que « le toucher » transmis au corps de l’autre se met au service des autres partenaires. Le toucher transmet essentiellement des dispositions au silence … Au service des autres, pour rendre conscient, sensible le mouvement en acte ; pour ne pas tomber dans la sensation de s’écouter soi-même, comme s’il était nécessaire que le danseur se rappelle en toute circonstance : «Stop ! Arrête de te montrer. Introduis profondément en toi le mouvement que ton corps vient de générer.»

Et lorsque « le toucher » est absent, c’est l’imaginaire qui prend le relais, prolongeant le contact ailleurs. Alors que l’espace s’est agrandi, l’imaginaire rapproche entre eux des corps éloignés qui sont, à ce titre, potentiellement éclatés. Pourtant, une réminiscence mystérieuse transmet de loin en proche une présence d’excellence. « Loin des yeux, loin du cœur » est une bêtise absurde pour des danseurs. Une improvisation qui est menée jusqu’à son terme met ce dicton en échec.

Que reste-t-il du corps ? :  La danse.

Après avoir traversé les incertitudes salutaires portées à la conscience par l’improvisation, que reste-t-il du corps ? Sans doute un magnifique potentiel à penser, à construire et à proposer. Quel est en effet ce mystère qui transforme le corps charnel en espace poétique, en tous les endroits du corps qui appartiennent de plein droit au danseur mais qui, aussi, lui échappent radicalement ? La danse aurait-elle ce pouvoir d’engendrer des espaces habitables par d’autres, partenaires ou spectateurs ? Quand le flux de corps pesants traverse d’autres corps, fussent-ils insignifiants à nos yeux, l’improvisation de la danse montre à quel point l’espace a changé de forme, c’est-à-dire a changé de sens ; qu’il est même porteur d’autres sens qui viennent sérieusement compromettre les habitudes paresseuses de notre regard quotidien et de nos pensées habituelles.

Alors, il y aurait dans la danse une capacité à produire d’autres visions de la réalité mais aussi à générer des clartés incontestables, de ces visions « synthétiques » qui font vivre ensemble des contraires dont parle Gilbert Durand, parce que le corps en est à l’origine. Corps irréductible qui marque l’Histoire des hommes dans sa permanence-même. Parce ce que tous les moments de la vie sont de potentielles occasions de se regarder, de se toucher, de s’admirer ou de se déchirer. Il reste le corps, comme lien inaliénable, « le foyer du geste qui enfante jour après jour sa propre identité » dit Laurence Louppe. Du pouce de la main jusqu’à l’extrémité du pied, mais aussi des haussements d’épaules jusqu’à la tête, la vie et la présence que l’on destine aux autres peuvent s’en trouver changées. Au bout du compte, la question n’est plus de savoir « ce que le corps veut dire…», c’est-à-dire ce qu’il faut en comprendre. La question est bel et bien de repérer comment le corps déplace les fonctions établies par la vie sociale, et de se demander comment s’élaborent les nouvelles pensées du corps. Intégrer l’espace commun pour affiner sans cesse les nouvelles perceptions dont l’intelligence se serait dotée. Presque à notre insu, si le corps n’était pas là pour nous le rappeler.

 

Michel Vincenot

So easy – Inga Zotova-Mikshina

So easy – Inga Zotova-Mikshina

Elle entre dans la pénombre d’un lieu improbable, dans l’attente d’un événement imprévisible qui pourrait être le prélude de l’humanité. Elle s’introduit en contre-jour dans l’origine du monde, sa genèse.

Sur les notes du piano qui dégringolent en cascade, la marche lente et silencieuse d’Inga Mikshina vient d’un autre monde, là où le temps n’existait pas encore. La chute des notes de musique est une dialectique nécessaire qui surgit en contrepoint d’une marche qui devient rapide et flotte au-dessus du sol. Inga marche sur les nuages.

« Si facile », dit-elle (so easy). C’est le titre de son solo… En réalité, pas si facile que cela, car elle excelle dans l’art des nuances qui font la subtilité de la danse et de la vie humaine quand le corps devient pensant. Apprivoiser l’espace, le temps et le poids (en gestation) comme principes de réalité de l’humanité, c’est aussi mettre en lumière l’espace, le temps et le poids qui font les états de la danse dans son universalité.

Il suffit alors de se laisser porter dans le cheminement où elle nous conduit : les mains et les doigts qui explorent la verticalité du corps le long de la colonne vertébrale, des cheveux jusqu’au creux des reins. Et les doigts qui, ensuite, redressent la tête par le menton, dessinent le visage et ouvrent le regard.

Dans cette avancée vers la lumière, ce sont les extrémités du corps, doigts de mains, doigts de pieds qui tracent les chemins à découvrir en toute délicatesse, jusqu’à la précision de sa posture quand elle se fige à l’arrêt, une main sur la hanche. Inga nous met en attente d’un événement encore inconnu qui finira par advenir.

Et quand, finalement, elle s’enfouit la tête sous son vêtement, Inga Mikshina devient la figure de la méditation sur la condition humaine dont le parcours, venu de l’attente, trouve son aboutissement dans un état de prière intérieure.

 

Michel Vincenot
Prague, 20 novembre 2017

Distribution

 

Chorégraphie et interprétation

Inga Zotova-Mikshina

Lumières Jan Beneš
Musique Ivana Loudova
Scénographie, costume Inga Zotova Mikshina

Cette chorégraphie est dédiée à

Ivana Loudova

Inertia – Kirsten Debrock

Inertia – Kirsten Debrock

« Je veux penser que la danse commence en deça, dans  le processus qui précède la naissance, et même plus avant, dans la répétition d’une évolution qui prit des centaines de millions d’années. Se lever, se tenir debout, bouger : aucun mouvement ne se fait sans impliquer la gravité, sans engager un échange avec elle. À plus forte raison en va-t-il ainsi de la danse, qui est un dialogue avec la gravité. »

Ushio Amagatsu, dialogue avec la gravité.

 

 

Se confronter au temps est l’incontournable statut de l’humain depuis sa naissance. Il a fallu tenter de s’extraire de la gravité pour se mettre debout, créer un rythme sur les deux pieds, et enfin tenir en équilibre sur une seule jambe.

Mais en se prêtant à cette force qui nous tirait vers le haut, il a fallu également accepter l’inertie du corps vieillissant, soumis au poids qui le ramène au sol, et au ralentissement des mouvements qui étaient jadis le signe de sa vitalité.

C’est devant, derrière et dans l’entre-deux d’une scénographie de tulles et d’un processus vidéo que se joue ce parcours, faisant appel à la fois au souvenir du corps tonique, et à la réalité du vieillissement des muscles et des articulations, qui s’accompagne de la perte des repères spatiaux, temporels et relationnels.

Derrière les tulles tout d’abord, une image irréelle qui rappelle que la jeunesse était présente avant que le vieillissement ne vienne altérer cette énergie du corps que l’on pensait inépuisable.

Mais l’inertie finit toujours par ralentir le mouvement. Jusqu’à la limite de l’impossible. Les tentatives d’élévation sur les jambes finissent inéluctablement par le déséquilibre et la chute répétée. Les enfermements dont on tente de s’extraire disent la perte de mobilité des mains et des doigts dans leur capacité de préhension, de touchers et de caresses, mais aussi, paradoxalement, de force et de douceur. Jusqu’au combat acharné contre soi-même, pour libérer la fonction première des mains : composer une gestuelle qui construit le mouvement et qui met en lien les individus entre eux dans l’espace de la relation sociale.

Une fois les mains arrachées à leurs contraintes, reviennent à la mémoire défaillante les gestes quotidiens que l’on effectuait. Ils resurgissent comme un automatisme dont on ne connaît plus, ni la fonction ni le sens. Les doigts et les mains écrivent alors des signes dans l’espace, à la façon des calligraphies chinoises, qui offrent un sursaut momentané d’espoir et de poésie.

Cet automatisme obsessionnel revient plus tard, lorsque le corps affaibli rencontre un obstacle qui creuse la poitrine, paralyse la respiration, courbe le dos chargé du poids des ans. Il devient alors impossible de retrouver la verticalité. Ce même état de corps, interprété en binôme par les deux danseuses, enrichit ces approches du vieillissement, chacune dans ses qualités de danseuse, chacune dans son énergie maîtrisée. De l’une à l’autre, elles font émerger la justesse du propos.

Dans le désarroi de la perte des repères dans l’espace, il faut chercher très vite son chemin dans toutes les directions, devant, derrière et sur les côtés, de façon hystérique. Moment émouvant de la panique qui s’empare de l’individu quand vient la cécité, la perte de l’audition et le déséquilibre du corps qui ne retrouve plus ses appuis et qui enchaîne chutes et glissades ; le sol étant devenu le seul repère solide d’un corps insécurisé.

Viennent alors les flashback de la belle composition vidéo d’Olivier Soliveret qui met en lumière les morceaux fragmentés du vivant : visages, dos nu, pieds, jambes, bras, mains… de corps qui apparaissent et disparaissent furtivement. Des corps qui ont perdu leur intégrité, mais qui rappellent aussi, par la rapidité d’exécution, ce que fut le corps dans le passé. L’énergie de cette magnifique composition chorégraphique qui met en harmonie la dynamique du corps d’hier et du corps d’aujourd’hui, jusqu’à traverser le temps de la mémoire devenue floue, avant que ne réapparaisse les cadres de tulle derrière lesquels on refait le trajet du début. Mais cette fois-ci chargé de l’expérience des jeunes corps devenus vieillissants.

Et enfin, la belle translation d’un corps qui disparaît au lointain (on ne saura jamais où il va) et d’un autre qui continue son chemin, car le vieillissement n’est pas un drame mais un parcours de la vie qui se prolonge pour faire de « l’inertie » un touchant moment de vérité.

 

Michel Vincenot
6 février 2017

Distribution

 

Chorégraphie Kirsten DEBROCK

Interprètes Deborah LARY, Tamara BACCI

Design sonore et vidéo Olivier SOLIVERET

Lumières Lætitia ORSINI, Nicolas BUISSON

Création 2 et 3 février 2017

La Cigalière, Sérignan

 

 

Photographie Maïa Jannel

Le doute et l’horizon – Michel Vincenot

Le doute et l’horizon – Michel Vincenot

Peinture de Jean-Louis Fauthoux

 

Cet homme qui doute sans cesse de ses œuvres – il les signe le plus tard possible – ne s’imagine pas à quel point cette peinture est une ouverture mystérieuse du temps sur l’espace.

Mystère de la matière, tout d’abord, qui change l’épaisseur du temps, chaotique au début, transparente au final, dont il ne reste que la mémoire des traces que l’histoire a laissées.
Mystère de l’espace ensuite, qui déploie le temps à l’infini.
Mystère de la vie enfin, où le geste premier puise dans des temps incertains la force inouïe de transformer les obstacles en clarté. On ne sait pas, en effet, vers quels horizons nous conduira l’obscurité, au-delà des limites naturelles qui contiennent l’homme dans ses enclos sécurisants.

« Il a fallu larguer les amarres du confortable état premier où l’on était, sur lequel on s’appuyait, et perdre ses excellentes localisations, qui tenaient l’infini hors des remparts. » (Henri Michaux, L’infini turbulent)
C’est sans doute en cela que cette peinture de Jean-Louis Fauthoux est pertinente.

Le temps transformé en espace est donc un défi où les imprévus du geste, parfois hésitant, parfois assuré, viennent rompre avec les habitudes convenues. Il faut en effet prendre en considération les ruptures, les accidents même, qui remettent en perspective un parcours inattendu. Au cœur de ce cheminement, des sursauts, des pulsions, des questionnements viennent rompre momentanément avec l’évidence du parcours tout tracé dans les strates de la vie.

Ces strates superposées sont reliées entre elles dans l’horizontalité et la verticalité. On y lit en effet le mouvement horizontal qui laisse transparaître les traces verticales du pinceau (ou l’inverse), à la façon du palimpseste, pour ne jamais laisser disparaître la mémoire de l’histoire, la réminiscence des gestes qui pourraient être perdus à tout jamais.

Plus encore, ce mouvement ouvert est tenu jusqu’au bout par un socle qui relie les événements entre eux. En musique, on appellerait cela une basse continue qui soutient et conforte la mélodie et l’empêche de s’effondrer. Non pas des notes de musique, mais des harmoniques, ultimes résonances du son qui continue de vibrer dans l’espace après que la note a été jouée par l’instrument ou la voix ; ultime résonance de la couleur dont seuls le geste et le pinceau du peintre gardent le mystère.

Et en danse, on appellerait cela les appuis des pieds au sol qui soutiennent le poids et qui, paradoxalement, projettent le corps dans sa hauteur (la verticalité) et libèrent l’amplitude du mouvement (l’horizontalité) qui nous mène au-delà de l’horizon.

Dans cet espace ouvert sur l’inconnu « il s’agit de rendre perméables mes propres limites à celles des autres »,  intuition magnifique du danseur japonais Saburo Teshigawara qui, jadis, a expérimenté dans son corps solitaire ce que le peintre a inscrit aujourd’hui sur la toile. Une méditation sur l’horizon.

 

Michel Vincenot
7 décembre 2016

Au-delà de la blessure, les signes – Michel Vincenot

Au-delà de la blessure, les signes – Michel Vincenot

La Danse, expression ultime de l’esprit, est parfois impitoyable pour le corps.
Les danseurs qui ont fait la douloureuse expérience de la blessure sont marqués profondément dans leur corps, au point qu’il leur semble avoir perdu les mots, la mémoire, et parfois toute raison d’exister.

Le temps de la reconstruction est alors une longue traversée où l’on doit, par instinct de survie peut-être, chercher des chemins que l’on n’avait jamais explorés. « Quand le corps est pitoyable, dit Daniel Dobbels, il est en même temps traversé par des forces infinies. »
Et c’est au centre de ce corps meurtri que l’on va puiser ces forces pour y retrouver l’origine de la vie, de l’amour, de l’énergie. Le « thumos », comme l’appelaient les Grecs, ce point central du corps, situé sous le sternum, qui rassemble le cœur et la raison, mais aussi la passion du surgissement et du recommencement.

Ainsi, le plus petit geste devient le moteur de tout le mouvement. Rudolf Laban parlait du « florilège des petits gestes qui font la danse collective ». En effet, les petits gestes écrivent et réécrivent sans cesse les trouvailles du corps et nourrissent la créativité des interprètes reliés par la danse, et qui, eux-mêmes, relient la danse à « ce partenaire invisible » dont parlait Mary Wigman.

Ces signes, si minuscules soient-ils, renouent avec le frémissement de l’air presque imperceptible. À son contact, les doigts captent la plus petite vibration d’un flux invisible qui traverse le corps tout entier, de haut en bas, du ciel jusqu’aux appuis au sol ; deux des trois dimensions de l’espace de la danse. La troisième dimension – l’amplitude du mouvement devant, derrière et sur les côtés – est déjà préfigurée par les doigts qui cherchent à renouer avec le microcosme de l’intimité dans l’espace de l’immensité. Ils diffusent progressivement au corps un fluide qui l’envahit de clarté. C’est à ce moment que le sens advient.

Danseuse fine et subtile, Loren Coquillat intériorise tous ces états, comme si sa chair était à nouveau pétrie par le temps de la naissance. La renaissance des sensations perdues, et l’ouverture du corps dans toutes ses dimensions. À cet égard, la composition des doigts et des mains augurent ce que seront les retrouvailles avec son corps redevenu totalement spatial. Dissociation du regard et des gestes, directions opposées, rythmes syncopés et contrepoints qui font écho à un espace auparavant vide, et qui devient soudain habité du vivant.

Quand la jonction des doigts s’opère les yeux fermés, c’est le geste qui découvre l’espace du corps dans ses limites extrêmes. Quand le regard est dirigé dans une autre direction et que les doigts se rejoignent hors du volume du corps, c’est l’espace qui s’agrandit.

Et enfin quand le geste tout petit finit par générer deux mouvements dans des directions opposées, le haut et le bas par exemple, on est là au cœur du défi de la danse : dire dans le même temps deux directions inconciliables parce qu’elles sont contraires. Seule la danse peut les réconcilier contre toute rationalité. C’est le propre de l’être humain de combiner les registres variés de l’imaginaire, tel que le définissaient Gaston Bachelard et Gilbert Durand.

Loren transmet alors avec force et douceur autant de déclinaisons possibles, du petit geste au grand mouvement, du geste lent au mouvement rapide, qui ouvrent son corps, devenu immense, à une dimension universelle. Celle de la rencontre du temps, de l’espace et de la chair blessée ; celle de l’harmonie du corps d’aujourd’hui et du corps de demain.

La sagesse en quelque sorte.

Michel Vincenot
31 mai 2016

Distribution

 

Chorégraphie Michel Vincenot

Danse Loren Coquillat

 

Photographie Michel Vincenot