Les allées et venues – Christine Jouve

Les allées et venues – Christine Jouve

La beauté appelle le silence… comme une architecture cistercienne qui ne supporte ni la surcharge ni le bavardage, pour laisser au chant et à la lumière le soin d’ouvrir à la méditation.

La lumière vient ici de la danse, tenue entre silences et chants du corps quasiment grégoriens. Christine Jouve écrit le geste à la lisière de l’invisible. Et pourtant, les corps sont immédiatement lisibles, comme si le travail coulait de source. «Je pense à ces mots simples, dit-elle, suivre et précéder, cesser et prolonger, se tenir proche et loin […] pour traverser les liens singuliers que nous partageons.»

À quoi sert-il alors d’écrire sur une pièce quand la danse est si bien écrite ? C’est un outrage de parler après le silence. Et il est indécent de violer l’harmonie d’une œuvre tissée par sept interprètes dans la finesse de l’entrecroisement des fils. Une onde, une ondulation qui se transmet de l’un à l’autre pour former une choré-graphie (le choeur, si l’on considère la racine latine «chorus») où chacun se faufile dans la trame de l’autre pour offrir un ensemble de nuances et d’intelligence des voix. Et quand il s’agit du corps, cela porte effectivement un nom : la chorégraphie, cette fois-ci au sens grec, écrire la danse.

Habituellement, «les allées et venues» évoquent l’agitation d’une foule inconstante… ou l’impatience d’un rendez-vous manqué… ou alors, la volonté claire de donner rendez-vous au temps des autres. Daniel Dobbels dit à ce propos : «On ne prend pas le temps de faire quelque chose… On laisse aux autres le temps de…»

En effet, laisser le temps «aller et venir» au gré de rendez-vous que l’on n’attendait pas. Soixante-dix ans séparent une grand-mère de sa petite fille. Elles dansent ensemble.

Puis la magie du mouvement gravit le crescendo du sens, au fil d’un duo, d’un solo et d’un quintette de danseurs habités par le silence de l’œuvre aboutie. La présence du joyau, à peine créé, impose le silence à l’orfèvre qui l’a fait naître. La lumière viendrait donc du geste infime qui donne aux corps leur pertinence et leur éclat. La danse reçoit, donne et transmet une onde vibratoire à ses destinataires. Elle est, en-deçà du partage, un silence qui nous vient du dedans.

Quand l’écriture est limpide, on oublie l’écriture. Quand le temps est au bon endroit, on oublie l’horloger. Quand le geste est précis, la danse est une offrande.

À danseurs d’exception, danse exceptionnelle. Il n’est plus besoin d’apprendre à lire ou à interpréter. La danse répand son fluide et raccourcit les distances. Elle habille de justesse le corps des autres. Quel âge avez-vous déjà Christine Jouve ? À peu près soixante-dix ans de moins que votre grand-mère. Et s’il vient à Daniel Larrieu l’idée de vous rendre ce que vous lui avez donné, alors, le solo que vous avez écrit pour lui devient un duo.

Paradoxe hors du commun, Christine reçoit en échange un solo à deux parce que Daniel voulait qu’il fût partagé. Je te donne ce qui a traversé mon corps ; les corps se répondent en polyphonie. Et ce duo ouvre, «les pas dans les pas», au solo de Thomas Lebrun. Ce danseur magnifique échappe à contre-pied au basculement et à l’attirance du sol, «comme un aveu de faiblesse dans une ligne de force», pour tourner sur lui-même et se fixer à l’endroit où le regard s’adresse aux visiteurs d’un jour.

Et puis, quelle audace ! Quelle audace, à l’âge où l’on est jeune chorégraphe, d’écrire au final un quintette de danseurs dans une architecture aussi complexe que le diamant (quintette, quatuor, solo, trio etc….) dont la clarté vient vous couper le souffle. Il faut, en effet, maîtriser la danse et donner suffisamment de tendresse à ses interprètes pour agencer aussi finement une ligne ondulatoire qui autorise les échappées de l’un, grâce à la cohésion (à l’attention) des autres. Une danse qui transmet la délicatesse des pas suspendus au temps, et la précision des bras, tenus dans l’espace des harmoniques du chant vocal. Et bien d’autres choses qu’il n’est pas nécessaire de dévoiler.

Ici, la danse se suffit à elle-même. Rythmée par la vision éphémère d’apparitions et de disparitions, ancrée sur les autres, elle imprime à ces «allées et venues» la singularité subtile que chaque interprète a su donner. Quand l’un s’en va, l’autre a déjà gardé sa présence comme un trésor.

On reçoit la danse parce qu’elle est donnée comme un souffle. Elle s’impose alors comme une invitation à se taire et ouvre l’art à des «filiations» insoupçonnées : dehors, dans ce que les yeux et les oreilles perçoivent ; dedans, dans l’étrange disponibilité qui s’offre aux êtres et qui transite, de corps en corps, jusqu’au cœur du spectateur.

Aucun bruit n’envahit la conscience. On est là, simplement là, présents à la beauté. Le souffle de la danse est passé par là.

 

Michel Vincenot
12 novembre 2000

Distribution

 

Chorégraphie Christine Jouve

 

Danseurs :

Madeleine Arnoult

Christine Jouve

Daniel Larrieu

Thomas Lebrun

Rachel Benitah

Thomas Guerry

Antonia Pons-Capo

 

Lumières Catherine Noden

Costumes Judith Chaperon

Son Alice Normand

 

 

Création au Cratère d’Alès
10 novembre 2000

Gaspard, Melchior et Balthazar – Michèle Rust

Le trésor se trouve au creux de l’être comme une somme de petits joyaux qui le font naître. Mais l’or de l’alchimiste ne surgit pas dans la précipitation.

Sous le regard précis de Guillemette Grobon, le solo de Michèle Rust est un fragment de vie qui rassemble à lui seul toutes les réminiscences d’une trajectoire entre hier et maintenant. Mais aujourd’hui, c’est un éclat dans la nuit qui vient là, simplement, qui renoue avec le corps, traversé par de fines enluminures, en écrivant l’immensité de l’espace dans l’intimité de l’humain.

De haut en bas, le corps a gardé la mémoire d’une aventure passée qui échange son expérience avec le temps présent. Chacun de nous est une personne différente, autre, dans les étapes successives de la vie. Et le danseur appartient à l’universel quand il rencontre les chemins de l’altérité. L’autre, ce «partenaire invisible», dont parlait Mary Wigman, est un écho du mouvement généré par le corps du danseur. Et Michèle Rust, à sa manière, cherche une résonance entre des bras étendus au sol pour s’imprégner de la matière, et des jambes qui s’ouvriront plus tard dans les mêmes directions pour y stabiliser les assises du corps. Du sol tactile au sol des appuis, émerge la verticalité, puis la hauteur, puis l’épaisseur… dans l’infinitude de l’espace qui prolonge, presque naturellement, les territoires du corps. Strates successives qui réhabilitent le temps comme un constituant de l’être humain.

Ces territoires sont donc le lieu d’une exploration. La main au sol devient l’instrument de l’écoute et l’oreille celui de la perception du haut. Etonnant glissement de sens dans les fonctions corporelles que, vraisemblablement, seule la danse peut mettre en évidence. Et du même coup, elle change le rapport au temps et la perception de l’espace. Elle installe une relation étroite entre le proche et le lointain, entre ici et ailleurs, entre hier et aujourd’hui. Envelopper une jambe dans les bras, sur l’appui de l’autre jambe, corps lové, est une synthèse qui appartient à l’imaginaire, pas à la physique des corps. Un tel agencement parle à la fois de l’enfance et de la stabilité de l’adulte. Dire deux choses radicalement différentes en un seul mouvement est un mystère qui appartient à la danse.

Ainsi, au fil de la pièce, s’agence le solo de Michèle Rust. Elle déroule des situations de plus en plus fines et complexes, tout en revisitant, l’air de rien, la même gestuelle, le même mouvement, enrichis, cette fois-ci, de l’expérience du temps ; ouverture à la quiétude assumée jusqu’au bout des vibrations de la peau.

Les mains à l’extrémité des bras prennent alors une sérieuse importance. Entre la perception du matériau solide (les frottés, les appuis, les effleurements du sol) et les explorations des doigts comme une caresse aérienne, Michèle Rust trace, à la façon du peintre, un lien presque invisible entre l’air et la terre, entre l’éphémère et la stabilité. De lenteurs en accélérations, le mouvement du corps est à l’écoute du moindre détail, ouvrant même à une sorte de méditation à travers les lucarnes de l’invisible. La danse se trouve alors projetée au travers de la trame, «cette opacité du corps» dont Daniel Dobbels parle avec justesse. La danse, en effet, commence dans l’absence de clarté. Et, à cet égard, la lumière de Sylvie Garot en souligne avec intelligence tantôt la fragilité, tantôt le réalisme brut ; allant même jusqu’à réchauffer de lumière un sol déjà incandescent. Corps aveuglé par son propre mystère.

Mystère d’un être multiple où les enroulés de bras transmettent l’énergie jusqu’aux pieds. On est alors tendu entre trois directions : le haut, le bas et l’extérieur vers lequel le regard nous entraîne. On cherche à droite, on explore à gauche, on visite le haut, tout en gardant présent au sol -comme une conscience irréductible- le poids du corps qui nous relie à l’histoire, la nôtre et celles des autres.

Finalement, tous ces ingrédients agencent l’espace dans son rapport au temps, de la même façon que l’on tisse les fils d’une étoffe après les avoir cardés. Le corps est ainsi traversé par la sensualité de l’enfance, la délicatesse du souvenir et la réalité du temps. Entre la petite poupée de faïence et la mutation de la chair, il y a le mouvement ondulatoire du bassin, des membres et de la respiration qui égrène les notes de musique et les fait scintiller. Et si -mains dans le dos-, le geste revient à la mémoire, c’est pour rechercher dans l’avant ce qui met l’après en mouvement. Les jambes s’échappent du corps comme les traits d’un dessin. Le pied en suspension amorce un cercle avant de fixer sur le sol la projection du corps en mouvement. Le dos de la main effleure la terre pour apprivoiser à nouveau la matière-première de l’humain. Les pieds basculent sur les talons pour défier la gravité. Et, paradoxalement, c’est la courbure ou le plié du corps qui projettent dans l’espace du haut une extension d’un corps grandi. Au fond, le rythme se transforme en une déambulation. Le corps redevient le lieu du temps qui déroule l’être dans une élégante sensualité.

Et pour que rien ne soit oublié, Michèle Rust, proche par moments de la danse indienne, engage le mouvement jusqu’au bout, afin d’ouvrir tous les passages qui ont imprimé les chemins de jeunesse et qui augurent aujourd’hui d’une belle maturité. De l’hésitation à la stabilité, de la fougue à la quiétude, pour qu’il soit dit une fois pour toutes que la danse chemine au travers du corps dans tous ses états. La beauté, c’est quand une expression surgit d’une force indéfinissable.

Corps d’hier et corps d’aujourd’hui, traversés par les strates de l’espace et du temps. La danse convoque ici de multiples clartés. Des éclats de mains, de jambes, de tête qui brillent comme un cadeau venu du ciel.

 

Michel Vincenot
6 novembre 2000

Distribution

 

Conception

Guillemette Grobon et Michèle Rust

 

Chorégraphie et interprétation Michèle Rust

 

Musique Olivier Angele et marc Chalosse

 

Scénographie Françoise Arnaud

 

Costume Dominique Fabrègue

Chassés-croisés – Yann Lheureux

La vie préserve l’étrangeté des matins nouveaux
comme un trésor secret fait de désirs inavoués.
C’est ainsi que l’esprit cherche sa force,
c’est ainsi qu’il trouve à inventer les mots.
L’amour partagé invente les siens ;
l’amour traversé les ouvre grands au large
et met en éclat les nuances de la pierre précieuse,
jour après jour.

Ne me touche pas…
mais… ne me quitte pas des yeux.
L’improvisation s’installe. Le regard dans les yeux dessine l’impeccable diagonale d’un carré ; tension tenue par un espace qui s’offre à l’autre quoiqu’il arrive. Habité par le calme, la précision, l’ultime. L’ultime présence qui débarrasse des bagages encombrants, les «impedimenta» latins…

Puis, un tout petit mouvement, presque insignifiant, vient du silence, comme d’un monde engendré par le néant. « Du rien » en quelque sorte, du petit rien déclencheur de miracles. Le geste est là mais il n’est pas encore visible. La distance devient alors une relation de proximité. Et la proximité, une confrontation des limites que chaque danseur s’impose pour respecter l’espace de l’autre ; énergies aux couleurs contrastées qui s’effleurent et s’entrechoquent en restant attentives aux vibrations d’autrui. Ce sont des traversées dans des corps transparents qui, au-delà de leur matière, nous rejoignent en plein centre.

«Stop !», c’est la consigne que donne le public au moment le plus inattendu. Alors le mouvement s’arrête là où il avait commencé en installant dans le creux de la rencontre un vide, une attente dont nul ne sait ce qu’il en adviendra, comme une naissance, au fond. L’arrêt soudain porte à l’évidence ce qui a fait naître le mouvement, et laisse imaginer l’endroit où il aurait pu nous conduire. Mais ce qui n’est pas conduit jusqu’au bout restera dans l’ordre du possible ; éphémère pensée du geste qui imprime l’éclair d’une trajectoire dans notre imaginaire, comme si le geste enfoui s’était prolongé jusqu’à l’infini. Quel beau partage et quelle belle connivence entre quatre interprètes : deux danseurs, un musicien et nous, le public !

Car, c’est plus qu’un exercice de style que propose Yann Lheureux, c’est un état d’esprit. Cela suppose une ouverture au temps, à l’espace et aux autres – danseurs et témoins, tous confondus -. Le musicien rassemble sous ses doigts les frôlements matériels du mouvement et résume en un rythme circulaire toutes les tentatives du corps engagé dans la danse. Quant à Sandrine Maisonneuve, l’autre interprète de ce quatuor, elle anticipe sur les situations qui devront, quoiqu’il en coûte, s’accomplir jusqu’au bout, dût-elle mettre en réserve l’énergie qu’elle avait décidé d’extraire.

Extraire et retenir sont la conscience aiguë du moment, pris sur le vif de l’intensité.  A deux égards : la mort (ou l’impossibilité à faire) quand l’arrêt brutal impose une frustration. Et la réactivation du corps et de ses moteurs lorsqu’un départ inattendu survient dans l’espace de la chair. Le lien se fait en-deçà et au-delà du mouvement mais jamais dans l’instant. Car la danse de Yann Lheureux est une ellipse qui enveloppe tout sur son passage et qui suspend, par miracle, au-dessus du vide, les attentes du corps dans ses états d’être. On regrette simplement que ça s’arrête si vite… Mais, c’est le propre du désir !

Michel Vincenot
28 juin 2000

Distribution

 

Chorégraphie Yann Lheureux

Improvisation avec
Yann Lheureux
Sandrine Maisonneuve.

24 juin 2000, Uzès

Lest – Patricia Kuypers

Dans l’improvisation, si l’on ne sait pas exactement où l’on va (bien qu’on sache précisément où l’on conclura), on sait en revanche d’où l’on vient et où s’opèrent les moments de rencontre. Cette disposition-là est fortement liée à l’état de perception pour lequel on ouvre tous les sens, ou au contraire que l’on ferme, pour toutes les raisons qui sont liées à l’histoire du moment et au parcours de chacun des êtres.

Le corps du dedans, sollicité par des matières-du-dehors, doit en extraire l’essence en traversant d’autres corps. Cela fera sans doute sourire l’une des interprètes du moment (16 mars au Théâtre Saragosse) qui se surprend et qui nous surprend à demander un droit de passage dans le corps de son partenaire. Cette sollicitation est plus profonde qu’il n’y paraît. «Laisse-moi passer» est une injonction des plus banales. D’ordinaire, on s’efface pour laisser le passage, ou alors on oppose une résistance violente. Et c’est le conflit ou l’accident. Ici on suggère, au contraire, que l’autre partenaire puisse s’ouvrir à la proposition dérangeante qui lui est faite. L’improvisation étant liée expressément aux états du moment, il faut rester conscient (c’est-à-dire humble) de ses propres capacités à accueillir ou à refuser ; à accompagner ou à déployer le rendez-vous proposé. Il serait donc plus honnête d’écrire un texte après chacune des improvisations, fussent-elles regroupées sous un même titre générique. «Lest», le poids assigné, puis dévié en chute, en fluidité, en métamorphoses (au sens simplement étymologique), ou en touchés façonneurs d’espace(s).

Il y a comme une régulation spontanée du corps à chercher ce qui lui est nécessaire. A cet instant précis. Sans anticiper (c’est-à-dire sans fermer les champs possibles d’exploration) sur un événement à venir dont il ne connaît a priori ni la nature ni la consistance. La bulle d’air, par exemple, est donnée pour être légère par la vision qu’elle déclenche, et pesante par le volume qu’elle occupe dans l’espace. Si elle évoque la légèreté par les trajectoires qu’elle dessine, elle suggère aussi le poids rendu visible par la faculté qu’il a de se mouvoir. Du poids au mouvement, la proposition de Patricia Kuypers et de ses complices prend ainsi une autre évidence. Alors que le corps doit à tout moment préparer ses déplacements pour jouer avec sa propre masse, il entre en résistance avec d’autres corps qui ont eux aussi leur propre existence. Mais ils peuvent à tout moment devenir des partenaires lorsqu’ils développent l’intention et l’énergie qui ont été sollicitées par les autres, comme une demande venant de corps pesants qui ont, eux aussi, leur propre résistance.

Comment peut alors s’écrire la danse dans les conditions de l’improvisation ? «La composition» est la réponse la plus adéquate, si l’on considère que le corps doit sans cesse composer avec le temps. Il maîtrise d’autant moins le temps qu’il doit le partager avec les autres. Dès lors, les danseurs doivent combiner entre elles les perceptions venues de l’espace qui prend vie et qui dure, pour les façonner en cohérence avec un corps qui reçoit d’emblée ces matières brutes ; matériaux étranges ou étrangers qu’il faudra «raffiner» pour qu’ils soient recevables et lisibles.

Et lorsqu’il réussit à entendre l’intention qui sourd chez l’autre partenaire, le danseur peut alors devenir le prolongement du poids de l’autre devenu mouvement malléable, généré presque malgré lui. La danse porterait donc en elle la capacité d’écrire le mouvement dans un échange de l’un à l’autre, « un échange thermique » ou un « échange de fluides » ; du toucher à l’espace pour le danseur, des doigts à la terre pour le potier.

Franck Beaubois, l’un des danseurs-improvisateurs, souhaitait spontanément et sans état d’âme que fût introduit «le tour de potier» dans l’environnement de cette danse improvisée. L’argile épaisse et lourde (mais aussi matière tactile) compose le mouvement venu du poids. Mais elle se déforme, et change au passage le sens et la vision des choses. L’opacité du corps consentirait donc à livrer ses transparences au travers des vibrations massives relayées par les ondes de l’eau devenues presque solides. La peau, membrane de l’écoute, serait alors le transmetteur d’ondes, à la frontière du dedans et du dehors, sensible au moindre souffle perturbateur qui interpelle nos habitudes. Au cas où nous viendrait l’idée de ne jamais changer d’espace.

 

Michel Vincenot
17 mars 2000

Distribution

 

Chorégraphie Patricia Kuypers

 

Improvisation avec

Claire Filmon

Pascale Gille

Franck Beaubois 

Patricia Kuypers

 

avec la participation active de Michel Delvigne, faiseur de lumière et déclencheur d’avalanches

 

Festival de danse 2000

4+1 (little song) – Catherine Diverrès

Derrière l’enfance, se cache la cruauté du monde. Entre l’enfant triste de Rimbaud et l’enfant aux paupières cousues d’Aldo Naouri, Catherine Diverrès tranche dans lunivers de ces enfants perdus à tout jamais pour avoir côtoyé de trop près les adultes assassins.

Catherine Diverrès, la poète d’où résonnent les souffrances du monde, confie à 4 danseurs + 1 (celui qui cristallise la cruauté du propos) l’excellence de mener jusqu’au fond le désarroi d’une humanité qui transmet le pire à sa descendance : les enfants meurtriers. Et dans cette histoire, la danse nous offre un paradoxe : elle surgit du silence par l’écoute extrêmement précise de cinq interprètes entre eux ; entre la pulsion de mort dont il est question et l’attention aux autres que nous transmettent les danseurs. Paradoxe d’une enfance qui reproduit le mythe de Caïn et Abel, après qu’elle ait perdu définitivement l’occasion de sublimer ses pulsions dans un imaginaire, fût-il fantastique. «Pourquoi alors continuer de flatter Pinocchio qui est en chacun de nous en l’incitant à conférer à son enfant une stature angélique ? Ne vaudrait-il pas mieux lui dessiller une bonne fois pour toutes le regard et l’encourager à fabriquer une vraie crapule, seule stature capable d’affronter, un jour, la cruauté de ce monde où on l’a fait venir ?» Vision radicale du pédiatre Aldo Naouri, mise en regard du “Bateau ivre” de Rimbaud : «Un enfant accroupi plein de tristesse lâche un bateau frêle comme un papillon de mai».

Cet entre-deux-mondes jeté avec réalisme et tenu par la délicatesse de Catherine Diverrès est l’endroit le plus sensible et sans doute le plus juste pour dire l’humain, entre le cœur et le robot. L’endroit très exactement précis où l’être, enfermé dans son propre monde, se voile la face et se ferme à l’écoute de bras désespérés et de corps en échappée. Il mâche du chewing-gum pendant que le monde s’entretue… Silence tout le monde, on tourne du tragique à la télévision.

Le silence en effet, parlons-en. Contre-pouvoir d’un monde qui a perdu la tête. Une bille roule dans le noir pendant que le corps s’efface. Elle emporte avec elle l’univers de l’enfance devenu absurde. Entre chocs violents et disparitions subites qu’on ne veut plus regarder, des drames surviennent en pleine lumière. Des enchaînements d’événements que l’on ne veut plus voir par crainte de devenir aveugle. «Regarder, c’est l’intention de voir» disait récemment un adolescent de ce monde-là. Mais il faut être particulièrement lucide pour affirmer cela aujourd’hui. Il faut avoir une idée précise de l’enchevêtrement de l’être au monde, de ces sauts, de ces évitements ou rencontres que cinq danseurs portent à l’évidence de notre regard et de notre cœur.

Et si, au bout du compte, Catherine Diverrès fait s’entrechoquer deux univers : la réalité violente et la poétique de l’imaginaire, c’est pour laisser en attente une étincelle encore possible dans l’entre-deux des hommes, suspendu au petit chant fragile du «ciel par-dessus les yeux».

 

Michel Vincenot
13 mars 2000

Distribution

 

Chorégraphie Catherine Diverrès

 

Danseurs :

Carole Gomes

Osman Kassen Khelili

Nam-Jin Kim

Isabelle Kürzi

Fabrice Lambert

 

Création 10 mars 2000, Rennes