Carnuspitu, exposition photographique – Laurent Lafolie

Carnuspitu, exposition photographique – Laurent Lafolie

La danse devient clarté parce que les corps sont soumis aux contraintes de l’espace et aux limites du temps.
Laurent Lafolie est de ces hommes qui s’imprègnent avec tendresse du mouvement des autres. Des heures et des heures à regarder en toute simplicité des danseurs qui apprennent et qui refont sans cesse les mêmes gestes et les mêmes déplacements sur des plateaux silencieux. Devant des fauteuils vides.

Laurent Lafolie est de ces hommes qui ne se précipitent pas sur l’objectif pour assouvir un voyeurisme futile. C’est au moment le plus juste qu’il saisit une photo, puis renoue le contact avec les danseurs, par un regard attentif et généreux.
La photographie est d’abord une rencontre avec des hommes et des femmes qui, le temps d’un spectacle, consentent à mettre à nu leur corps pour retisser des liens d’humanité, oubliés ou tout simplement disparus.

Le photographe n’est qu’un passeur entre ceux qui acceptent de se livrer et ceux qui ont quitté leur maison pour les regarder danser. Le photographe est ce lien mystérieux entre des corps qui dansent et des corps à l’écoute, lorsque la parole a été enfouie ou définitivement perdue.

Cette exposition nous dit tout cela, et même plus, lorsqu’elle reconstitue le puzzle du verre dans tous ses éclats, ceux qui redonnent aux corps l’instant du regard, saisi dans les moments de danse, toutes les danses, celles qui font la différence en restituant aux corps la transparence oubliée.

 

Michel Vincenot
11 Mars 1995

Parcelles d’inconnu – Michel Vincenot

Éditorial brochure Festival Plurielles 1995

Le silence précède toujours la création. Que peut-on souhaiter de plus signifiant en préambule d’un festival ?
Au mois de février, Jacques Patarozzi et six de ses danseurs travailleront leur nouvelle création au Théâtre Saragosse, dans le silence, juste avant que le public ne se réapproprie le spectacle, n’y investisse son regard, son intelligence. Ce sera l’inauguration du festival de danse 1995.

En ces temps où les intérêts privés l’emportent sur la morale publique. En ces temps où toutes les religions affirment La vérité de manière péremptoire alors que règne par ailleurs la confusion du désarroi, les artistes devraient-ils à nouveau reprendre la parole ?

Dans ce cas, il faudrait mettre les poètes sous haute surveillance, ou bien, contenir les publics dans des parcs à clones afin que chacun reconnaisse perpétuellement dans ses semblables des modèles identiques. Le bonheur leur serait ainsi garanti. Pour notre part, nous préférons le discernement aux retranchements dogmatiques, s’il est encore temps de changer les choses.

C’est pourquoi nous commencerons par les tout-petits. Deux jours de découverte et de spectacle leur seront entièrement consacrés. La chorégraphe Dominique Rebaud les accompagnera le premier jour dans des écoles, le lendemain sur le plateau du Théâtre.

Puis, de soirée en soirée, Plurielles restera fidèle à ses engagements : donner à voir des corps qui dansent, dès lors que des chorégraphes ont pris le parti d’en exprimer le mystère. Car il y a, il est vrai, une grande part d’aléatoire, de subjectivité, dans l’appréciation que nous portons sur les arts, quels qu’ils soient. Mais il y a aussi cette toute petite parcelle que personne n’est en droit de revendiquer puisqu’on ne sait d’où elle vient. Elle s’écrit en deux mots : le bon sens populaire et l’intuition poétique des artistes. Tous deux échappent à notre entendement. Le poète lui-même est incapable d’en expliquer l’origine.

Nous voici donc transportés, au-delà des vérités individuelles, vers des parcelles d’inconnu qui portent un nom : l’universel, surgi de l’écoute minutieuse des autres, dont personne ne pourra jamais se prévaloir.

Alors notre seule chance est de proposer nos fragments de parole, non pas contre celle des autres, mais pour une aventure commune, inouïe, à laquelle les arts – et notamment la danse – nous convient, sans obligation d’adhésion unanime. Car ce qui tient de l’universel est vrai pour les individus auxquels on doit sans cesse la grâce de rester attentifs, respectueux de leur liberté de jugement, ou de leur liberté tout court.

Les danses Plurielles, en cette deuxième année, traceront peut-être ces chemins indicibles,  mystérieusement vivants,  tant on les croyait inimaginables.

Michel Vincenot
Décembre 1994

Editorial – Festival Plurielles 1994

Un festival se prépare comme on écrit une chorégraphie. Il faut en maîtriser l’intuition de départ afin que le propos soit d’emblée universel. Si les comédiens ou les danseurs échappent à cette exigence, le théâtre n’est que divertissement, et la danse, démonstration de techniques corporelles.

Lorsqu’il travaille avec ses comédiens, le metteur en scène Peter Brook leur demande d’explorer chacun des aspects du spectateur «pour que, au lieu d’accuser ou d’exprimer leur sympathie au public, ils puissent être ce qu’un acteur est censé être : le représentant du public, celui qu’on entraîne et prépare à aller plus loin que le spectateur, (mais) sur un chemin que le spectateur sait être le sien ».

Ce n’est donc pas un hasard si nous avons choisi de commencer ce festival de danse par une répétition publique de la compagnie Paul-les-Oiseaux. A l’esbroufe, nous préférons la modestie du travail, pour qu’il soit clairement signifié que toute expression artistique -reconnue universelle- trouve sa dimension créatrice dans un acte d’engagement. Ainsi est-elle autorisée à nous entraîner ailleurs.

En second lieu, un festival devait être un temps fort, un point d’orgue à la fois complexe et limpide. Complexe, parce qu’on a le devoir d’aborder la réalité humaine sous ses différents aspects et ses tonalités diverses ; chacun doit y trouver son compte. Limpide parce que les créations artistiques longuement mûries portent finalement sur les êtres -nos compagnons d’Histoire- un regard clair dont la simplicité devient source de plaisir.

Enfin, il fallait qu’un festival fût rythmé, au sens quasiment biologique. Alterner les spectacles éclatants à la façon Duroure, Paco Decina ou Patarozzi, avec des moments de contemplation tels que nous les offrent Patrick Bossatti et Bertrand Lombard.
Voici donc la règle du jeu du festival de danses Plurielles dont les chorégraphes invités sont parmi les plus reconnus de ces deux dernières années.

 

Michel Vincenot
Mars 1994

 

Le regard de la danse – Article pour le journal Sud-Ouest

La danse serait en quelque sorte cet état d’avant toute chose, antérieur à la parole, dès que le premier battement de cœur a fait tressaillir une esquisse de geste.

Et pourtant les danseurs modernes revendiquent l’accès à la parole comme une urgence de l’altérité, parce qu’il faut plus que jamais vivre dans l’inconfort de ce qu’on appelle depuis cette dernière décennie : la résistance aux choses toutes faites, la résistance aux discours uniformes. Des mots à la mode me direz-vous ? Oui, mais on n’a pas trouvé mieux jusqu’à présent, et, somme toute, c’est toujours d’actualité…

On ne peut plus regarder les gens de notre époque de la même façon ; il nous faut accepter d’aiguiser le regard que nous portons sur les autres, nos voisins d’Histoire, nos contemporains.

Nous voici donc jetés de plain-pied dans l’univers des chorégraphes d’aujourd’hui, ceux que l’on appelle justement contemporains, parce qu’ils se sont attachés ces dix dernières années à faire resurgir avec une certaine impatience les traces de nos désirs, enfouis par découragement, démission ou désillusion.

À enfermer la flamme sous le boisseau c’est le bois qui finit par flamber. Et nos danseurs d’aujourd’hui sont certainement les plus incendiaires, les plus iconoclastes des artistes de cette fin de siècle. Les plus jeunes le font quelquefois avec maladresse, mais toujours avec tendresse. Les autres le font avec intelligence précise, mais toujours avec une attention respectueuse. Si, comme François Verret, ils nous renvoient en pleine figure notre fragilité, ils affirment en même temps qu’ils font partie de notre monde, à part entière. Et, chose nouvelle, contrairement à l’air du temps, ils portent sur nous un regard neuf, ni condamnatoire ni dogmatique, car ils sont mieux placés que quiconque pour savoir que la matière première qu’ils nous empruntent – l’alliance du corps et de la parole – est toujours une aventure risquée qu’ils doivent restituer au spectateur dans un acte de gratitude.

Exercice des autres, « exercice du regard », dit Geneviève Vincent avec justesse. L’heure est à la modestie. Nous devons nous ré-entraîner à percevoir et non plus à comprendre. Etre attentif aux signes, aux souffles, aux silences et aux murmures, attentif comme un voyageur des profondeurs du désir de l’Autre, accepter d’accéder à ce stade de disponibilité. Accepter de se faire malmener, promener, séduire .
La danse est ce regard en mouvement, précis, investi, qui nous renvoie sans cesse à nous-mêmes et à notre propre intelligence du monde. Il se peut d’ailleurs qu’à ce moment de l’Histoire nous n’ayons plus rien à nous dire…

« Alors, à la suite de Charles Cré-Ange, sautons à pieds joints sur les planches et rebondissons très haut !  Et si nous restons suspendus dans les airs … Ce sera un miracle. »

Michel Vincenot
10 décembre 1992