Algo sera – Nathalie Collantès

Huit danseurs et un moment d’exception où la danse convoque les corps. Exigence d’une traversée dans l’en-deçà du geste, avant qu’il ne trouve le juste mouvement. Ce qui résiste au corps doit être investi avec précision, dans la vacuité et les mouvances du temps.

 

Mouvances du temps. «Algo Sera» se décline sous les formes et les perceptions de chacun des danseurs au regard d’images venues d’ailleurs, en intégrant l’antériorité. Comme une confrontation du présent et du passé. Mais, dans la vacuité des instants, c’est toujours le même corps qui fait le lien, sans qu’il cherche pour autant à se précipiter sur les autres pour faire dans «le joli» ou dans «le scénario attendu». La danse est ici une esquisse en gestation, jusqu’à ce que l’instant le plus clair s’impose comme une évidence du corps à explorer toujours plus loin. Les sons bruts, les matières indisciplinées, les images d’un temps précédent et les objets étrangers participent à ces investigations. Le corps se retrouve alors dépourvu des savoir-faire que l’on répète indéfiniment par peur de se perdre. La danse se réinvente sans cesse en décalage avec son propre environnement. Qu’une musique populaire et festive parvienne à figer le corps dans un état méditatif, ou que l’image elle-même mette en évidence le corps en morceaux, voici que la danse se conjugue entre irréel et charnel.

Entre ces deux états, il y a d’abord le temps singulier de chacun, puis le temps de l’espace qui raccorde le vivant à tous les objets intrus qui s’imposent à lui. Pas de contacts préfabriqués entre les danseurs, mais un itinéraire qui, à chaque instant, dépouille le corps de ses fioritures inutiles. Et dans ces états-là, la danse devient subtile à force d’avoir parcouru les chemins ouverts, ou les impasses auxquelles il faut s’être heurté pour en extraire le juste état. Etats de corps surpris par l’épure qui écrit, cette fois-ci, au-delà de la chair, l’excellence de la danse. Le mouvement du haut, tête, bras et épaules, déclenché par des appuis de pieds à peine effleurés au sol ; les marches lentes en décalage avec le «frôlement» de la matière… Finalement, la juste quintessence, nécessaire à l’acte créateur de la danse apparaît alors comme l’énigme du temps commun, le temps de tous. «Le soleil dispensait une lumière étrange, altérant la vision réelle.»

 

Michel Vincenot
janvier 2001

Distribution

 

Chorégraphie Nathalie Collantès

Danseurs :

Nathalie Collantès,

Anne-Emmanuelle Deroo,

Vincent Druget

Yves Heck
Virginie Lauwerier

Pascal Quéneau

Julie Salgues

Olivier Stora

 

Scénographie Elizabeth Ausina

 

Création sonore Manuel Coursin

 

Lumières Christophe Forey

 

 

Création au Vivat d’Armentères
19 janvier 2001

 

Festival Plurielles 2001

Wanted ou profil bas – Thierry Thieû Niang

Wanted, à l’étape d’une recherche où la danse transite par les territoires de chacun des interprètes. Le fil tissé traverse ainsi le corps dans ses formes et ses approches singulières. Wanted, corps en explorations, à l’écoute de l’espace qui appelle le devenir d’un temps commun, pour faire éclore le désir des plus fines qualités que préserve chacun des danseurs… Tant que le moment n’est pas encore venu de projeter, au-delà même de sa propre image, la ligne de force qui relie entre elles des singularités.

Wanted, ça n’est pas tant l’individu recherché, c’est l’expression de la danse sous tous ses profils. Le «portrait-robot» n’ira donc pas débusquer le coupable d’une quelconque trahison. La danse ouvrira, au contraire, le creux de l’être. Et chacun des corps se laissera traverser par l’étrangeté. Dès lors que la danse transite de territoire en territoire, elle est livrée à la conscience de tous et aux itinéraires des autres.

C’est en cela que le lien se fait universel. C’est en cela qu’il parvient à atteindre au plus secret le territoire réservé du spectateur, en d’autres lieux et en d’autres temps. La danse, en effet, rend les corps transparents, vibratoires, après qu’ils aient traversé le poids, la gravité et la hauteur. Réalités incontournables.

La façon dont s’opèrent les séparations et les rencontres préservent l’espace de chacun et relie mystérieusement aux autres. Une jambe qui passe au-dessus d’un corps étendu est une attention. C’est pour habiller, protéger, contenir le corps de l’autre. C’est tout le contraire du mépris. L’un ramassé, l’autre dans ses signes des doigts, et la dernière dessinant un chemin qui relie les espaces de tous.
Doigts écartés, les yeux traversent l’opacité ; le flux est adressé à d’autres regards. Le chemin de ronde du mouvement rassemble l’air et la peau ; signe pétri dans la profondeur du corps. Mais le chemin rassemble aussi des états inconciliables : corps en retrait, corps étendus, corps inclinés, corps vers le haut.

Et d’échange en échange, les petits secrets sont partagés dans le creux de l’oreille. Cette connivence met les interprètes en mouvement et fabrique la danse telle qu’on ne l’attendait pas.

De lignes de fuite en lignes d’horizons, la danse diffuse les corps dans les directions latérales. Celles-ci, justement, nous intéressent particulièrement car elles ouvrent aux espaces étrangers. Traverser les murs, rejoindre l’inaccessible à travers l’organique et la compacité.
D’habitude la marche se fait au-devant, dans la direction de la vision, depuis l’endroit rassurant où les perceptions sont maîtrisées. Ici, on accepte que d’autres états de corps déstabilisent les situations. Le déséquilibre sur le côté dessine le mouvement de la danse. Et le tremblement du corps fait écho aux vibrations de l’air, cette petite chose invisible qui met en péril la gravité. Tout comme la musique et le chant  lorsqu’ils viendront plus tard, ainsi qu’une quatrième danseuse. Ils trouveront dans cet espace-là le champ ouvert à toutes les investigations d’une humanité «recherchée», vue de face, de dos ou de profil, à travers le prisme fragile et lumineux du verre.

 

Michel Vincenot
17 décembre 2000

Distribution

 

 

Chorégraphie Thierry Thieû Niang

 

Danse :

Clara Cornil

Anne-cécile Drouillard

Christophe Le Blay

Thierry Thieû Niang

 

Chant Joddy Pou

Guitare François Lasserre

Lumières Philippe Didier

Sculptures Didier Tisseyre

 

Création Théâtre de l’Olivier janvier 2001

Les allées et venues – Christine Jouve

Les allées et venues – Christine Jouve

La beauté appelle le silence… comme une architecture cistercienne qui ne supporte ni la surcharge ni le bavardage, pour laisser au chant et à la lumière le soin d’ouvrir à la méditation.

La lumière vient ici de la danse, tenue entre silences et chants du corps quasiment grégoriens. Christine Jouve écrit le geste à la lisière de l’invisible. Et pourtant, les corps sont immédiatement lisibles, comme si le travail coulait de source. «Je pense à ces mots simples, dit-elle, suivre et précéder, cesser et prolonger, se tenir proche et loin […] pour traverser les liens singuliers que nous partageons.»

À quoi sert-il alors d’écrire sur une pièce quand la danse est si bien écrite ? C’est un outrage de parler après le silence. Et il est indécent de violer l’harmonie d’une œuvre tissée par sept interprètes dans la finesse de l’entrecroisement des fils. Une onde, une ondulation qui se transmet de l’un à l’autre pour former une choré-graphie (le choeur, si l’on considère la racine latine «chorus») où chacun se faufile dans la trame de l’autre pour offrir un ensemble de nuances et d’intelligence des voix. Et quand il s’agit du corps, cela porte effectivement un nom : la chorégraphie, cette fois-ci au sens grec, écrire la danse.

Habituellement, «les allées et venues» évoquent l’agitation d’une foule inconstante… ou l’impatience d’un rendez-vous manqué… ou alors, la volonté claire de donner rendez-vous au temps des autres. Daniel Dobbels dit à ce propos : «On ne prend pas le temps de faire quelque chose… On laisse aux autres le temps de…»

En effet, laisser le temps «aller et venir» au gré de rendez-vous que l’on n’attendait pas. Soixante-dix ans séparent une grand-mère de sa petite fille. Elles dansent ensemble.

Puis la magie du mouvement gravit le crescendo du sens, au fil d’un duo, d’un solo et d’un quintette de danseurs habités par le silence de l’œuvre aboutie. La présence du joyau, à peine créé, impose le silence à l’orfèvre qui l’a fait naître. La lumière viendrait donc du geste infime qui donne aux corps leur pertinence et leur éclat. La danse reçoit, donne et transmet une onde vibratoire à ses destinataires. Elle est, en-deçà du partage, un silence qui nous vient du dedans.

Quand l’écriture est limpide, on oublie l’écriture. Quand le temps est au bon endroit, on oublie l’horloger. Quand le geste est précis, la danse est une offrande.

À danseurs d’exception, danse exceptionnelle. Il n’est plus besoin d’apprendre à lire ou à interpréter. La danse répand son fluide et raccourcit les distances. Elle habille de justesse le corps des autres. Quel âge avez-vous déjà Christine Jouve ? À peu près soixante-dix ans de moins que votre grand-mère. Et s’il vient à Daniel Larrieu l’idée de vous rendre ce que vous lui avez donné, alors, le solo que vous avez écrit pour lui devient un duo.

Paradoxe hors du commun, Christine reçoit en échange un solo à deux parce que Daniel voulait qu’il fût partagé. Je te donne ce qui a traversé mon corps ; les corps se répondent en polyphonie. Et ce duo ouvre, «les pas dans les pas», au solo de Thomas Lebrun. Ce danseur magnifique échappe à contre-pied au basculement et à l’attirance du sol, «comme un aveu de faiblesse dans une ligne de force», pour tourner sur lui-même et se fixer à l’endroit où le regard s’adresse aux visiteurs d’un jour.

Et puis, quelle audace ! Quelle audace, à l’âge où l’on est jeune chorégraphe, d’écrire au final un quintette de danseurs dans une architecture aussi complexe que le diamant (quintette, quatuor, solo, trio etc….) dont la clarté vient vous couper le souffle. Il faut, en effet, maîtriser la danse et donner suffisamment de tendresse à ses interprètes pour agencer aussi finement une ligne ondulatoire qui autorise les échappées de l’un, grâce à la cohésion (à l’attention) des autres. Une danse qui transmet la délicatesse des pas suspendus au temps, et la précision des bras, tenus dans l’espace des harmoniques du chant vocal. Et bien d’autres choses qu’il n’est pas nécessaire de dévoiler.

Ici, la danse se suffit à elle-même. Rythmée par la vision éphémère d’apparitions et de disparitions, ancrée sur les autres, elle imprime à ces «allées et venues» la singularité subtile que chaque interprète a su donner. Quand l’un s’en va, l’autre a déjà gardé sa présence comme un trésor.

On reçoit la danse parce qu’elle est donnée comme un souffle. Elle s’impose alors comme une invitation à se taire et ouvre l’art à des «filiations» insoupçonnées : dehors, dans ce que les yeux et les oreilles perçoivent ; dedans, dans l’étrange disponibilité qui s’offre aux êtres et qui transite, de corps en corps, jusqu’au cœur du spectateur.

Aucun bruit n’envahit la conscience. On est là, simplement là, présents à la beauté. Le souffle de la danse est passé par là.

 

Michel Vincenot
12 novembre 2000

Distribution

 

Chorégraphie Christine Jouve

 

Danseurs :

Madeleine Arnoult

Christine Jouve

Daniel Larrieu

Thomas Lebrun

Rachel Benitah

Thomas Guerry

Antonia Pons-Capo

 

Lumières Catherine Noden

Costumes Judith Chaperon

Son Alice Normand

 

 

Création au Cratère d’Alès
10 novembre 2000

Gaspard, Melchior et Balthazar – Michèle Rust

Le trésor se trouve au creux de l’être comme une somme de petits joyaux qui le font naître. Mais l’or de l’alchimiste ne surgit pas dans la précipitation.

Sous le regard précis de Guillemette Grobon, le solo de Michèle Rust est un fragment de vie qui rassemble à lui seul toutes les réminiscences d’une trajectoire entre hier et maintenant. Mais aujourd’hui, c’est un éclat dans la nuit qui vient là, simplement, qui renoue avec le corps, traversé par de fines enluminures, en écrivant l’immensité de l’espace dans l’intimité de l’humain.

De haut en bas, le corps a gardé la mémoire d’une aventure passée qui échange son expérience avec le temps présent. Chacun de nous est une personne différente, autre, dans les étapes successives de la vie. Et le danseur appartient à l’universel quand il rencontre les chemins de l’altérité. L’autre, ce «partenaire invisible», dont parlait Mary Wigman, est un écho du mouvement généré par le corps du danseur. Et Michèle Rust, à sa manière, cherche une résonance entre des bras étendus au sol pour s’imprégner de la matière, et des jambes qui s’ouvriront plus tard dans les mêmes directions pour y stabiliser les assises du corps. Du sol tactile au sol des appuis, émerge la verticalité, puis la hauteur, puis l’épaisseur… dans l’infinitude de l’espace qui prolonge, presque naturellement, les territoires du corps. Strates successives qui réhabilitent le temps comme un constituant de l’être humain.

Ces territoires sont donc le lieu d’une exploration. La main au sol devient l’instrument de l’écoute et l’oreille celui de la perception du haut. Etonnant glissement de sens dans les fonctions corporelles que, vraisemblablement, seule la danse peut mettre en évidence. Et du même coup, elle change le rapport au temps et la perception de l’espace. Elle installe une relation étroite entre le proche et le lointain, entre ici et ailleurs, entre hier et aujourd’hui. Envelopper une jambe dans les bras, sur l’appui de l’autre jambe, corps lové, est une synthèse qui appartient à l’imaginaire, pas à la physique des corps. Un tel agencement parle à la fois de l’enfance et de la stabilité de l’adulte. Dire deux choses radicalement différentes en un seul mouvement est un mystère qui appartient à la danse.

Ainsi, au fil de la pièce, s’agence le solo de Michèle Rust. Elle déroule des situations de plus en plus fines et complexes, tout en revisitant, l’air de rien, la même gestuelle, le même mouvement, enrichis, cette fois-ci, de l’expérience du temps ; ouverture à la quiétude assumée jusqu’au bout des vibrations de la peau.

Les mains à l’extrémité des bras prennent alors une sérieuse importance. Entre la perception du matériau solide (les frottés, les appuis, les effleurements du sol) et les explorations des doigts comme une caresse aérienne, Michèle Rust trace, à la façon du peintre, un lien presque invisible entre l’air et la terre, entre l’éphémère et la stabilité. De lenteurs en accélérations, le mouvement du corps est à l’écoute du moindre détail, ouvrant même à une sorte de méditation à travers les lucarnes de l’invisible. La danse se trouve alors projetée au travers de la trame, «cette opacité du corps» dont Daniel Dobbels parle avec justesse. La danse, en effet, commence dans l’absence de clarté. Et, à cet égard, la lumière de Sylvie Garot en souligne avec intelligence tantôt la fragilité, tantôt le réalisme brut ; allant même jusqu’à réchauffer de lumière un sol déjà incandescent. Corps aveuglé par son propre mystère.

Mystère d’un être multiple où les enroulés de bras transmettent l’énergie jusqu’aux pieds. On est alors tendu entre trois directions : le haut, le bas et l’extérieur vers lequel le regard nous entraîne. On cherche à droite, on explore à gauche, on visite le haut, tout en gardant présent au sol -comme une conscience irréductible- le poids du corps qui nous relie à l’histoire, la nôtre et celles des autres.

Finalement, tous ces ingrédients agencent l’espace dans son rapport au temps, de la même façon que l’on tisse les fils d’une étoffe après les avoir cardés. Le corps est ainsi traversé par la sensualité de l’enfance, la délicatesse du souvenir et la réalité du temps. Entre la petite poupée de faïence et la mutation de la chair, il y a le mouvement ondulatoire du bassin, des membres et de la respiration qui égrène les notes de musique et les fait scintiller. Et si -mains dans le dos-, le geste revient à la mémoire, c’est pour rechercher dans l’avant ce qui met l’après en mouvement. Les jambes s’échappent du corps comme les traits d’un dessin. Le pied en suspension amorce un cercle avant de fixer sur le sol la projection du corps en mouvement. Le dos de la main effleure la terre pour apprivoiser à nouveau la matière-première de l’humain. Les pieds basculent sur les talons pour défier la gravité. Et, paradoxalement, c’est la courbure ou le plié du corps qui projettent dans l’espace du haut une extension d’un corps grandi. Au fond, le rythme se transforme en une déambulation. Le corps redevient le lieu du temps qui déroule l’être dans une élégante sensualité.

Et pour que rien ne soit oublié, Michèle Rust, proche par moments de la danse indienne, engage le mouvement jusqu’au bout, afin d’ouvrir tous les passages qui ont imprimé les chemins de jeunesse et qui augurent aujourd’hui d’une belle maturité. De l’hésitation à la stabilité, de la fougue à la quiétude, pour qu’il soit dit une fois pour toutes que la danse chemine au travers du corps dans tous ses états. La beauté, c’est quand une expression surgit d’une force indéfinissable.

Corps d’hier et corps d’aujourd’hui, traversés par les strates de l’espace et du temps. La danse convoque ici de multiples clartés. Des éclats de mains, de jambes, de tête qui brillent comme un cadeau venu du ciel.

 

Michel Vincenot
6 novembre 2000

Distribution

 

Conception

Guillemette Grobon et Michèle Rust

 

Chorégraphie et interprétation Michèle Rust

 

Musique Olivier Angele et marc Chalosse

 

Scénographie Françoise Arnaud

 

Costume Dominique Fabrègue

Chassés-croisés – Yann Lheureux

La vie préserve l’étrangeté des matins nouveaux
comme un trésor secret fait de désirs inavoués.
C’est ainsi que l’esprit cherche sa force,
c’est ainsi qu’il trouve à inventer les mots.
L’amour partagé invente les siens ;
l’amour traversé les ouvre grands au large
et met en éclat les nuances de la pierre précieuse,
jour après jour.

Ne me touche pas…
mais… ne me quitte pas des yeux.
L’improvisation s’installe. Le regard dans les yeux dessine l’impeccable diagonale d’un carré ; tension tenue par un espace qui s’offre à l’autre quoiqu’il arrive. Habité par le calme, la précision, l’ultime. L’ultime présence qui débarrasse des bagages encombrants, les «impedimenta» latins…

Puis, un tout petit mouvement, presque insignifiant, vient du silence, comme d’un monde engendré par le néant. « Du rien » en quelque sorte, du petit rien déclencheur de miracles. Le geste est là mais il n’est pas encore visible. La distance devient alors une relation de proximité. Et la proximité, une confrontation des limites que chaque danseur s’impose pour respecter l’espace de l’autre ; énergies aux couleurs contrastées qui s’effleurent et s’entrechoquent en restant attentives aux vibrations d’autrui. Ce sont des traversées dans des corps transparents qui, au-delà de leur matière, nous rejoignent en plein centre.

«Stop !», c’est la consigne que donne le public au moment le plus inattendu. Alors le mouvement s’arrête là où il avait commencé en installant dans le creux de la rencontre un vide, une attente dont nul ne sait ce qu’il en adviendra, comme une naissance, au fond. L’arrêt soudain porte à l’évidence ce qui a fait naître le mouvement, et laisse imaginer l’endroit où il aurait pu nous conduire. Mais ce qui n’est pas conduit jusqu’au bout restera dans l’ordre du possible ; éphémère pensée du geste qui imprime l’éclair d’une trajectoire dans notre imaginaire, comme si le geste enfoui s’était prolongé jusqu’à l’infini. Quel beau partage et quelle belle connivence entre quatre interprètes : deux danseurs, un musicien et nous, le public !

Car, c’est plus qu’un exercice de style que propose Yann Lheureux, c’est un état d’esprit. Cela suppose une ouverture au temps, à l’espace et aux autres – danseurs et témoins, tous confondus -. Le musicien rassemble sous ses doigts les frôlements matériels du mouvement et résume en un rythme circulaire toutes les tentatives du corps engagé dans la danse. Quant à Sandrine Maisonneuve, l’autre interprète de ce quatuor, elle anticipe sur les situations qui devront, quoiqu’il en coûte, s’accomplir jusqu’au bout, dût-elle mettre en réserve l’énergie qu’elle avait décidé d’extraire.

Extraire et retenir sont la conscience aiguë du moment, pris sur le vif de l’intensité.  A deux égards : la mort (ou l’impossibilité à faire) quand l’arrêt brutal impose une frustration. Et la réactivation du corps et de ses moteurs lorsqu’un départ inattendu survient dans l’espace de la chair. Le lien se fait en-deçà et au-delà du mouvement mais jamais dans l’instant. Car la danse de Yann Lheureux est une ellipse qui enveloppe tout sur son passage et qui suspend, par miracle, au-dessus du vide, les attentes du corps dans ses états d’être. On regrette simplement que ça s’arrête si vite… Mais, c’est le propre du désir !

Michel Vincenot
28 juin 2000

Distribution

 

Chorégraphie Yann Lheureux

Improvisation avec
Yann Lheureux
Sandrine Maisonneuve.

24 juin 2000, Uzès